"Le sujet, au-delà de l'Aquarius, c'est l'avenir de l'Europe." Interrogé jeudi matin sur Europe 1, François Hollande a mis le doigt sur ce qui se joue actuellement au sein de l'Union européenne. La controverse autour du bateau humanitaire refusé par les morts italiens et maltais, et bloqué en mer Méditerranée avec 629 migrants à son bord, a jeté une lumière crue sur un problème qui n'est pas nouveau. Face à l'afflux migratoire, l'Union européenne est pour l'instant incapable d'apporter une réponse concertée.
Cette crise, "test définitif pour l'avenir de l'Europe" de l'aveu également d'Angela Merkel, a en effet rebattu les cartes politiques sur le Vieux Continent. Et chacun y va de sa proposition pour sortir de la crise. D'un côté, la chancelière allemande a longtemps été la seule à prôner l'ouverture des frontières, avant de renoncer sous la pression politique dans son pays. De l'autre, des pays d'Europe de l'Est ont immédiatement fermé les leurs. Aujourd'hui, ils sont rejoints par un "axe" constitué des ministres de l'Intérieur allemand, autrichien et italien, qui veulent s'opposer à l'immigration illégale. La France, enfin, mise sur la création d'une instance européenne qui prendrait les migrants en charge.
Vers un repli national
La Hongrie, la Pologne, la République Tchèque et la Slovaquie, qui ont reformé le "groupe de Visegrad", se sont opposés dès 2015 à l'accueil des migrants. Ensemble, ces pays prônent l'"endiguement des vagues de migration irrégulière qui partent depuis la Libye et d'autres endroits d'Afrique du Nord", comme ils l'ont écrit dans une lettre adressée en 2017 au gouvernement italien. Pour eux, la solution serait d'installer des centres de "tri" des migrants sur les côtes africaines, ainsi qu'en Turquie et en Jordanie, afin de "sélectionner" les réfugiés légaux des migrants économiques illégaux avant que ceux-ci n'arrivent sur le continent. Depuis que le gouvernement italien a changé, il y a quelques semaines, il les a rejoints sur ce point. Giuseppe Conte, chef du gouvernement transalpin en visite à Paris vendredi, a déclaré qu'il était pour la création de "centres de protection dans les pays d'origine" des migrants.
Le fait que le groupe de Visegrad soit désormais soutenu par les ministres de l'Intérieur allemand, autrichien et italien donne plus de poids encore à sa position. D'autant que l'Autriche, désormais gouvernée par une coalition de droite et d'extrême droite, s'apprête à prendre la présidence tournante de l'Union européenne. L'option d'une fermeture des frontières européennes est donc encouragée par ces pays. Qui, s'ils n'obtenaient pas gain de cause, pourraient même préférer un retour à des frontières nationales, au mépris des fondements même de l'Union européenne.
Des quotas obligatoires
Autre option : instaurer des quotas obligatoires de migrants dans chaque pays, en fonction de la population et de la santé économique des États. C'est ce qui avait été décidé dans l'urgence en 2015, et jamais réellement réalisé puisque certains pays s'y étaient soustraits (la France, elle, n'a jamais accueilli autant de migrants qu'elle s'était engagée à le faire). C'est toujours ce que tente de négocier l'Union européenne en ce moment même, et depuis plusieurs mois. L'Italie et la Grèce y sont très favorables (même si la première a précisé, par la voix de son chef du gouvernement Giuseppe Conte vendredi, qu'elle était opposée à la version actuellement en discussion au niveau européen) : cela leur permettrait de ne plus faire face seules à l'afflux de migrants, qui arrivent en très large majorité sur leurs côtes.
Cela signifierait revenir sur les accords de Dublin qui prévoient, aujourd'hui, que les migrants déposent leur demande d'asile dans le pays dans lequel ils sont arrivés. "Nous l'avons toujours dit et voulons le réaffirmer : les règles de Dublin doivent changer", a répété Giuseppe Conte vendredi lors d'un voyage à Paris. Le problème, c'est que cette solution des quotas obligatoires a déjà été formulée par la Commission européenne en 2015… et déjà rejetée par les pays d'Europe centrale et de l'Est.
Un "programme européen" pour financer l'accueil
Paris, de son côté, souhaiterait plus de solidarité européenne sur la question migratoire, tant pour l'intégration des réfugiés que pour les contrôles aux frontières. Devant le Parlement européen en avril dernier, Emmanuel Macron avait soumis cette idée, invitant à dépasser le "débat empoisonné" sur les quotas. "Je propose de créer un programme européen qui soutienne directement financièrement les collectivités locales qui accueillent et intègrent les réfugiés", avait-il expliqué. "Il faut construire la solidarité interne et externe dont l'Europe a besoin." Vendredi, le président français a enfoncé le clou. "Je crois très profondément qu'il ne saurait y avoir de réponses nationales" à ces questions, a-t-il jugé après de longues discussions avec Giuseppe Conte. "Il faut prôner des solutions européennes [car] la solidarité européenne actuelle n'est pas adaptée."
Le président français cherche à obtenir le soutien d'Angela Merkel sur ses propositions, qui impliquent également "une convergence des systèmes d'asile" des États membres, afin qu'ils puissent tous deux faire front commun lors d'un sommet européen à la fin du mois. Mais la chancelière, en grande difficulté politique sur la question au vu des prises de position très dures de son ministre de l'Intérieur, pourrait bien préférer consolider sa position à l'échelle nationale, quitte à abandonner son partenaire français au niveau européen.