Au menu des discussions entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron, lundi soir : Iran, Ukraine, Syrie ou encore G7. Photo d'archives. 1:30
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Hadrien Bect, Nicolas Tonev et Pierre Herbulot, édité par Thibaud Le Meneec , modifié à
Le président français Emmanuel Macron reçoit lundi au fort de Brégançon son homologue russe Vladimir Poutine. Cette rencontre marque un certain rapprochement entre les deux dirigeants, alors que de nombreux sujets sont au menu de leurs discussions.
ON DÉCRYPTE

À cinq jours d'un sommet du G7 très scruté, à Biarritz, la rencontre est évidemment particulière : Emmanuel Macron reçoit Vladimir Poutine lundi soir, au fort de Brégançon, son lieu de villégiature depuis 2017. Pour le chef de l'État, ce rendez-vous diplomatique ouvre une séquence internationale cruciale, si bien qu'à l'Élysée, on prend bien soin de préciser qu'il s'agit d'une "visite de travail" sur un "lieu de travail". Les vacances sont donc bel et ben terminées pour le chef de l'État.

L'Iran et l'Ukraine au premier plan

Avec cet entretien en tête à tête, suivi d'un dîner, l'Élysée espère avoir un dialogue "franc, exigeant, sans concession" avec le chef de l'État russe. Car les sujets brûlants ne manquent pas sur la table de la résidence présidentielle : il y a d'abord l'escalade de tensions entre l'Iran et les États-Unis au sujet de l'accord de Genève. "La remise en cause par les États-Unis de cet accord met l'Iran dans une situation difficile, et une perspective de sanctions économiques de plus en plus dures", analyse sur Europe 1 Florent Parmentier, enseignant à Sciences Po et expert en géopolitique européenne, auteur de La Moldavie à la croisée des Mondes (éd. Non Lieu, parution en octobre).

"La Russie entretient des rapports ambigus avec l'Iran mais avec un certain nombre d'acquis", poursuit le spécialiste. "Sur le dossier iranien, comme sur d'autres dossiers dans la région, la Russie est un interlocuteur difficilement contournable. C'est aussi vrai sur la question syrienne. Pour la Russie, il y a véritablement l'envie de jouer un rôle au Moyen-Orient et l'Iran est une pièce maîtresse."

" Pour la Russie, il est très important d'être soutenue par la France dans les pas qu'elle pourra faire pour aller à la rencontre de l'Ukraine "

L'autre "crise" à gérer concerne l'Ukraine. C'est d'ailleurs en raison de l'annexion de la Crimée que la Russie avait été exclue du G7, en 2014. La rencontre de lundi "peut vraiment relancer la dynamique diplomatique positive pour recommencer les négociations sur la fin du conflit entre l'Ukraine et la Russie, qui est le ticket pour le retour en force de la Russie sur la scène diplomatique", observe Anastasiya Shapochkina, maître de conférence en géopolitique à Sciences Po. "Pour la Russie, il est très important d'être soutenue par la France dans les pas qu'elle pourra faire pour aller à la rencontre de l'Ukraine."

Il s'agit là "des crises les plus sensibles du moment", reconnaît un conseiller élyséen, crises dont Moscou détient une partie des clés. Bien sûr, Paris sait bien que les solutions "ne seront pas immédiates" mais espère "converger sur l'essentiel" avec le président russe, dit-on au Château.

Macron, "porte-parole du G7" ?

Avec cette rencontre, Emmanuel Macron se plonge aussi dans la dernière ligne droite avant le G7 de Biarritz, de samedi à lundi. "On a la volonté du président français d'associer Vladimir Poutine à un certain nombre de choses faites" au G7, estime Florent Parmentier. "À cette occasion, Emmanuel Macron va tenter de devenir l'interlocuteur privilégié de la Russie en Europe. Autour de lui, Angela Merkel sort plutôt affaiblie des derniers mois, il y a des difficultés en Grande-Bretagne, l'Italie est en crise gouvernementale… Dans les grands États, il ne reste que la France et Emmanuel Macron se dit qu'il a une carte à jouer."

C'est aussi le cas du point de vue russe. Pour le Kremlin, "aller en France revient à entériner une idée que Vladimir Poutine veut faire passer depuis 2014 : la Russie n'est pas isolée et peut compter sur un Emmanuel Macron devenu porte-parole ou intermédiaire sur le G7", face aux États-Unis, au Royaume-Uni, à l'Allemagne, à l'Italie, au Canada et au Japon.

Des relations apaisées

Mais si chaque partie espère autant du rendez-vous de lundi, c'est aussi parce que la relation entre les deux pays s'est apaisée depuis la campagne présidentielle de 2017 et des accusations de "propagande" russe à l'encontre du candidat Macron, qui n'avait d'ailleurs pas hésité à vilipender les médias russes devant Vladimir Poutine, à Versailles, peu après son élection.

"Il y a de timides rapprochements en train de s'opérer sur quelques point très particuliers", explique Florent Parmentier. "Emmanuel Macron était l'invité l'an passé du Forum international de Saint-Pétersbourg, une sorte de Davos russe, Dmitri Medvedev a été invité par Édouard Philippe, au Havre, en juin dernier, et la diplomatie française a pesé pour le retour de la Russie au sein du Conseil de l'Europe."

Un président russe plus ouvert au dialogue que par le passé

Il faut dire aussi que c’est un Vladimir Poutine à la superbe écornée qui arrive en France. Ce qui fait sa force depuis des années dans les négociations, à savoir l’absence totale d’opinion publique contradictoire, l’argent issu du pétrole et du gaz, le mépris du droit international comme en Crimée et la continuité du pouvoir, est désormais remis en cause par un important mouvement de contestation à l’intérieur de la Russie. Le système politique mis en place par le maître du Kremlin s’essouffle.

Désormais, la jeunesse russe des grandes villes ne suit plus la propagande mais regarde Internet et choisit ses informations. Alors que les sanctions économiques appliquées depuis l’annexion de la Crimée pèsent sur le pays, la multiplication des foyers de tension entretenus par Moscou, dans les dossier ukrainien, syrien, et même dans celui de la crise au Venezuela, coûtent très cher. La pauvreté reprend le dessus en Russie depuis ces deux dernières années.

Vladimir Poutine pourrait donc bien avoir besoin d’une main tendu, même s’il est hors de question de le montrer. Il a tout de même déjà fait preuve de bonne volonté en laissant sortir de prison - pour l’assigner à résidence à Moscou – Philippe Delpal, un banquier français accusé de malversation dans une affaire concernant des cercles proches du pouvoir. À priori donc, avec des gestes de chaque côté, mais aussi un ciel provençal dépourvu de nuages, le baromètre se trouve au beau fixe entre les deux présidents avant leur rencontre, lundi soir à Brégançon.