Plus de 200.000 mineurs pourraient avoir été victimes d'agression sexuelle de la part de religieux en Espagne, selon l'estimation publiée vendredi d'une commission d'enquête indépendante sur la pédocriminalité dans l'Église catholique. Le rapport ne fournit pas de chiffre précis, mais contient un sondage effectué à la demande de cette commission auprès de plus de 8.000 personnes, selon lequel 0,6% de la population adulte espagnole (près de 39 millions de personnes) a affirmé avoir été agressé sexuellement, alors qu'ils étaient mineurs, par des religieux. En outre, un nombre légèrement inférieur d'Espagnols (0,53%) ont indiqué avoir été agressés sexuellement alors qu'ils étaient mineurs par des laïcs travaillant dans des institutions religieuses.
Ces estimations sont contenues dans un rapport remis vendredi au Congrès des députés espagnols par le Défenseur du Peuple (équivalent en France du Défenseur des Droits), Ángel Gabilondo, au terme des travaux d'une commission indépendante, la première établie dans ce pays pour évaluer l'ampleur de la pédocriminalité dans l'Église catholique.
Déterminer les "responsabilité" et offrir une "réparation" aux victimes
Le rapport se montre critique de l'attitude de l'Église catholique, déplorant que sa réaction aux cas de pédocriminalité en son sein ait été "insuffisante". Parmi les mesures proposées dans le rapport, figure la création par l'État d'un fonds pour verser des réparations aux victimes. Ángel Gabilondo a précisé lors d'une conférence de presse que les cas concernaient principalement la période allant "de 1970 à nos jours".
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Contrairement à la France, à l'Allemagne, à l'Irlande ou encore aux États-Unis, l'Espagne, pays à forte tradition catholique, n'avait encore jamais réalisé une enquête indépendante sur ce fléau. Une situation à laquelle les députés espagnols avaient souhaité remédier en décidant en mars 2022 la création d'une commission d'experts chargée de "faire la lumière" sur les "actes personnels exécrables commis contre des enfants sans défense" au sein de l'Église espagnole.
Ils avaient confié la direction de cette commission au Défenseur du Peuple, lui donnant pour objectif de déterminer les "responsabilités" dans les cas de violences sexuelles, d'offrir une "réparation" aux victimes et de prévenir de nouveaux cas. Pour mener ses travaux, la commission s'est appuyée sur des experts en droit et en assistance aux victimes, ainsi que sur les témoignages des victimes elles-mêmes.
"La pointe de l'iceberg"
Peu avant même la présentation du rapport, la Conférence épiscopale de l'Église catholique avait annoncé qu'elle tiendrait lundi prochain une assemblée plénière extraordinaire au cours de laquelle les évêques débattront du rapport. L'Église, qui a refusé pendant des années toute enquête approfondie, n'a pas voulu participer aux travaux de la commission. Elle a toutefois accepté de lui remettre en mars des informations sur les cas de pédocriminalité collectées par les diocèses.
Confrontée à une pression politique croissante et à des accusations d'obstruction, elle avait fait un premier pas en février 2022 en lançant son propre audit externe, confié au cabinet d'avocats Cremades & Calvo Sotelo.
Malgré les injonctions de la Conférence épiscopale, qui avait sommé le cabinet d'avocats il y a quelques semaines de publier son rapport dans les dix jours, les résultats de cet audit ne devraient être présentés qu'en fin d'année, après la publication d'un résumé en novembre.
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L'Église, qui affirme pour sa défense avoir mis en place des protocoles de traitement des violences sexuelles, ainsi que des bureaux de "protection de l'enfance" au sein des diocèses, a reconnu en juin avoir recueilli le témoignage de 927 victimes.
Ce chiffre était toutefois très en deçà des 2.206 victimes comptabilisées par le quotidien espagnol El País, qui a créé sa propre base de données en 2018. Les premiers cas remontent à 1927. Le quotidien madrilène a également recensé 1.036 religieux accusés d'agressions sexuels sur des mineurs. "Selon les experts, il ne s'agit que de la pointe de l'iceberg", écrivait El País vendredi. Le rapport publié vendredi lui donne raison.
À titre de comparaison, une commission indépendante avait recensé 216.000 mineurs victimes depuis 1950 en France. En Allemagne, une étude a recensé 3.677 cas entre 1946 et 2014, et en Irlande, plus de 14.500 personnes ont reçu une compensation financière par le biais d'un mécanisme créé par le gouvernement.