La Russie est-elle encore un pays en paix ? Depuis plusieurs jours, la question paraît légitime. Ce mardi, Moscou subissait une attaque d'envergure, menée par une dizaine de drones, qui n'a toutefois pas engendré de gros dégâts ni fait de victimes. Une offensive qui s'ajoute, néanmoins, aux bombardements ukrainiens perpétrés dans la région frontalière de Belgorod. Son gouverneur, Viatcheslav Gladkov, a même fait état d'un mort et de deux blessés. Cette région a également été ciblée, voici quelques semaines, par deux groupes armés, composés de soldats russes farouchement opposés à Vladimir Poutine.
En clair, cette guerre qui, jusqu'à présent, ne dépassait pas les frontières ukrainiennes, s'exporte désormais sur le territoire russe. Un scénario que Vladimir Poutine a longtemps présenté comme une ligne rouge qui susciterait de vives réactions si elle venait à être franchie.
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Seulement voilà, ces lignes rouges n'ont eu de cesse de reculer tout au long du conflit, assurent les spécialistes. "En 14 mois de conflit, beaucoup de ces soi-disant lignes rouges ont déjà été franchies sans que cela n'entraîne l'utilisation d'armes tactiques", indiquait en avril dernier Anne de Tinguy, professeure émérite à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales) et spécialiste de la Russie. Ces récentes attaques au drone sont-elles de nature à changer la donne ? "Pour moi, c'est le jeu de la guerre et ça n'implique pas de mesures de représailles", estime Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS et spécialiste des questions russes.
"On a du mal à comprendre quelle est la stratégie russe aujourd'hui"
Pour l'ancien diplomate, une riposte d'ampleur de la part de Moscou est, à ce jour, assez hypothétique. "En fait, ils n'ont que très peu de marges de manœuvres supplémentaires. La seule, en réalité, serait d'accroître les bombardements sur les populations civiles en Ukraine. Mais je l'imagine mal car ils voudront garder leurs missiles pour des objectifs de guerre". Et quand bien même les Russes opteraient pour cette solution, ils devront faire face au puissant système ukrainien de défense antiaérienne, renforcé par du matériel américain.
Pour l'instant, Moscou semble donc se cantonner à une simple "surenchère verbale", remarque le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la revue Défense nationale. Vladimir Poutine s'est contenté d'accuser Kiev de vouloir "terrifier la Russie" et "intimider les citoyens russes". Tout en dénonçant l'attitude des Occidentaux, responsables, selon lui, de ces attaques en raison du soutien apporté à l'Ukraine. Une réaction moins agressive qu'imaginé, pouvant s'expliquer par l'absence de tactique claire et lisible au plus haut sommet de l'État russe. "Poutine a dit récemment que la Russie ferait quelque chose mais qu'elle doit encore réfléchir", appuie Jean de Gliniasty. Et Jérôme Pellistrandi de compléter : "En théorie, ils sont capables de frapper le palais présidentiel à Kiev et pourtant ils ne le font pas. Donc on a du mal à comprendre quelle est la stratégie russe aujourd'hui".
"On n'est jamais à l'abri d'un basculement"
En revanche, Moscou s'est toujours montré assez clair sur sa volonté de minimiser les difficultés rencontrées sur le champ de bataille. Et, a fortiori, sur son propre territoire. L'objectif étant de convaincre la population que cette "opération militaire spéciale" en Ukraine ne met pas en péril la sécurité des citoyens russes. Et qu'il ne s'agit que d'un épiphénomène. Difficile alors de justifier une réaction d'ampleur sur le terrain militaire. Néanmoins, aucune hypothèse ne doit être définitivement enterrée. "On n'est jamais à l'abri d'un basculement. De quelque chose qui pourrait émouvoir la population russe. Une prise d'otages, des civils tués etc", illustre Anna Colin-Lebedev, politologue, spécialiste des sociétés post-soviétiques.
La nature des cibles visées en Russie est également à observer de près. "S'agit-il de cibles militaires ou bien de cibles indifférenciées avec risque de pertes civiles ?", questionne le général Pellistrandi. Autre paramètre d'importance : la provenance des armes utilisées. "Pour l'instant, a priori, les frappes ne sont pas perpétrées à l'aide de matériel occidental", confirme le militaire. Mais comment Moscou réagirait si un missile britannique ou américain terminait sa course sur un immeuble d'habitation ? À ce jour, difficile d'apporter une réponse ferme et définitive.