C'est peut-être la conséquence la plus dangereuse du conflit en Ukraine. L'économiste Bruno Parmentier, consultant sur les questions d'agriculture et d'alimentation, alerte sur un risque de crise alimentaire mondiale et un "ouragan de famine" qui pourrait toucher de nombreux pays, à l'aube du 26e jour de l'invasion russe de l'Ukraine. "C'est un grand pays agricole et un grand pays exportateur", rapporte l'économiste au micro d'Europe 1, alors que l'Ukraine est bombardée par l'armée russe.
L'économiste pointe notamment la production de céréales. "La Chine et l'Inde, qui produisent le plus de céréales, ne les exportent pas. Donc, parmi les pays capables de produire plus que ce qu'ils mangent, il y a la Russie et l'Ukraine. [Ces deux pays] produisent à peu près 15% du blé, mais représentent 40% des exportations", explique le consultant sur les questions d'agriculture, également auteur du blog Nourrir Manger. "Ce n'est pas sûr qu'ils sèment cette année leur blé en Ukraine, ni qu'ils récoltent. Ce qui est sûr, c'est que les exportations par le port de Marioupol ne se font pas", indique-t-il au micro de Julien Pearce.
Les pays d'Afrique du Nord les plus à risque
Parmi les pays les plus concernés par ce risque figurent les pays du Maghreb, et plus généralement d'Afrique du Nord. "Il faut se rendre compte que l'Égypte, 105 millions d'habitants, ne compte que 4% de terres cultivables, et c'est le plus grand importateur mondial de blé, année après année. S'il n'y en a plus en Russie ou en Ukraine, le blé du reste du monde, notamment français, ne va pas suffire. On va donc avoir faim en Égypte, mais aussi en Algérie, au Maroc, en Tunisie, au Yémen, au Liban, en Syrie", expose Bruno Parmentier.
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La France est, elle, exempte à ce risque, car elle est un grand pays exportateur, souligne l'économiste. "Nous ne mangeons qu'un tiers de nos céréales. Le blé, c'est un tiers pour nous, un tiers pour nos animaux et un tiers pour l'exportation, donc il n'y aura pas de problème", rassure-t-il. "Il y aura du pain dans nos boulangeries. Peut-être que la baguette va prendre dix centimes."
L'alignement de beaucoup de facteurs inquiète
Si Bruno Parmentier alerte sur une crise alimentaire mondiale, les dirigeants politiques à l'international ont conscience de la problématique, et le G7 a déjà organisé une réunion spéciale sur ce sujet. "Le problème", prévient l'économiste, "c'est qu'il n'y a pas de stocks. Les stocks mondiaux de céréales, il n'y en a plus beaucoup. Ce n'est plus à la mode, et de toute façon, on a du mal à faire des années excédentaires".
Il reste "quatre à cinq mois de stocks", estime Bruno Parmentier, qui souligne que le maïs est aussi affecté par ce conflit en Ukraine, également grande productrice. Pour les oléagineux, cela touche plutôt en France "les producteurs de cochons et de poulets, donc les prix de l'alimentation vont augmenter". L'économiste met en avant le fait que la Chine a eu une mauvaise récolte cette année, et qu'elle "va peser sur le marché" avec ses moyens financiers considérables. "Il faut prier pour qu'il n'y ait pas d'incident climatique dans les zones céréalières cette année et que la récolte soit bonne", avance l'économiste sur Europe 1.
Bruno Parmentier ajoute que beaucoup d'agriculteurs ukrainiens sont mobilisés dans les combats, laissant de côté leur exploitation qui peut être bombardée. "Quand les hommes étaient à la guerre, les femmes se mettaient à l'agriculture. Mais là, les femmes et les enfants se sont réfugiés", argumente-t-il. L'économiste met également le doigt sur l'engrais azoté, essentiel, qui provient notamment du gaz russe, et dont le prix risque d'augmenter. "Tous les facteurs vont se conjuguer", avec un risque "d'émeutes de la faim dans beaucoup de pays (...). On est dans une situation très tendue, extrêmement inquiétante", met en garde l'économiste.