Attaque de drones, explosions d'obus, évacuation de civils... Depuis le début du conflit en Ukraine, la population vit au rythme de ces évènements devenus au fil du temps presque banals dans un pays ravagé par la guerre. Mais cette fois-ci, ces scènes se déroulent bel et bien en Russie. Plus précisément dans la région frontalière de Belgorod où des combattants russes, venus d'Ukraine, se sont infiltrés en début de semaine.
Plusieurs villages ont été pris pour cible, des actes de sabotage ont été menés, contraignant Moscou à établir un régime "antiterroriste" dans la région. Un dispositif non-utilisé depuis 2009 et qui donne davantage de pouvoirs aux autorités pour mener des opérations armées, contrôler voire évacuer des civils. "Nous achevons un porte-à-porte (...) Une grande partie de la population a quitté le territoire concerné, nous aidons avec nos moyens de transport ceux qui n'en ont pas", a indiqué le gouverneur de Belgorod Viatchelsav Gladkov sur Telegram. Mais qui sont ces militaires au profil singulier qui sèment la confusion sur le territoire de la Fédération de Russie ?
Deux entités distinctes, dont l'une proche de l'extrême droite russe
Les auteurs de ce raid appartiennent à deux unités combattant aux côtés de l'Ukraine : la légion Liberté de la Russie d'un côté et le Corps des volontaires russes (RDK) de l'autre. "Ce sont deux milices indépendantes non officiellement alliées aux forces ukrainiennes. Elles existent depuis les quelques mois qui ont suivi le début de la guerre", précise Carole Grimaud, analyste géopolitique et spécialiste de la Russie.
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La première ambitionne ouvertement de "libérer" la Russie de Vladimir Poutine. Son leader, Ilia Ponomariov, est un ancien député de la Douma (l'Assemblée fédérale russe) qui s'était distingué, en 2014, en étant le seul parlementaire à voter contre l'annexion de la Crimée par Moscou en 2014. Leur symbole, le drapeau bleu-blanc-bleu, est un classique de l'opposition russe et un emblème aux couleurs de l'Ukraine est visible sur leur uniforme. En 2022, l'AFP avait rencontré l'un de ses représentants, connu sous le nom de Caesar. L'homme, originaire de Saint-Pétersbourg selon ses dires, se définissait comme un patriote russe et un "nationaliste de droite".
De l'autre côté, le Corps des volontaires russes (RDK) affiche une idéologie bien plus radicale. Et pour cause, son fondateur, Denis Kapustin alias "Nikitin", est un visage bien connu de l'extrême droite néo-nazie en Russie. Selon Meduza, média indépendant russophone, il apparait sur la liste fédérale des personnes recherchées par Moscou. Ancien hooligan, il organisait des combats de MMA en Ukraine et avait lancé en 2008 une marque de vêtements sur lesquels figurait régulièrement le soleil noir, symbole souvent repris par la mouvance néonazie. Le RDK, principalement constitué de volontaires russes, partage avec Liberté de Russie une volonté farouche de renverser le pouvoir en place à Moscou.
Établir une "zone tampon démilitarisée" entre Russie et Ukraine
Un objectif final qui semble toutefois difficilement atteignable par le biais d'une simple incursion en territoire russe dans une région frontalière de l'Ukraine. En réalité, indique Carole Grimaud, ce raid aurait pour but de mettre fin à la guerre en établissant une "zone tampon démilitarisée entre la Russie et l'Ukraine". Une solution similaire à celle adoptée entre les deux Corée et qui se traduit par un arrêt des combats sans ratification d'un traité de paix. Une idée déjà évoquée précédemment par les États-Unis. "Maintenant, de là à dire que Washington est derrière cette opération, je n'irai pas jusque-là", tempère Carole Grimaud.
Quant aux liens entretenus par ces deux unités avec Kiev, là-encore, le flou demeure. Pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky, il est hors de question d'afficher une quelconque accointance avec elles. "L'une des conditions pour obtenir des armes occidentales, c'est de ne pas faire la guerre à la Russie sur son territoire. Or c'est ce que l'on observe ici. Donc Kiev dit qu'elle n'a rien à voir avec ça", explique Lukas Aubin, directeur de recherche à l'Iris et auteur de Géopolitique de la Russie. Logiquement, le camp adverse avance une hypothèse radicalement différente, assurant que Kiev cherche à "détourner l'attention" de Bakhmout, ville ukrainienne que les Russes se targuent d'avoir reprise. Ce mercredi, Moscou affirme avoir totalement chassé ou éliminé ces assaillants.