"Femme, vie, liberté". Cinq mois après la mort de Mahsa Amini, 22 ans, décédée trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs car son voile était mal ajusté, le slogan révolutionnaire continue de résonner en Iran, malgré la violente répression du régime. S'il est impossible de connaître les chiffres réels, des "dizaines de milliers" de personnes seraient détenues depuis le début du mouvement de contestation, selon différents médias iraniens. Au moins 55 personnes ont été exécutées, selon l'ONU. Des chiffres probablement sous-estimés. Mais où en est la situation dans le pays, cinq mois après le début du mouvement de contestation ?
L'État veut "renouer le pacte social"
Au début du mois de février, le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, a annoncé une amnistie et des réductions de peines de prison, à l'occasion du 44e anniversaire de la victoire de la Révolution islamique, célébrée dans le pays le 11 février dernier. Depuis, des détenus ont effectivement été libérés, comme le réalisateur Jafar Panahi ou la chercheure de Sciences Po Paris Fariba Adelkhah. Mais pour Chowra Makaremi, anthropologue et chercheure au CNRS, qui travaille sur l’Iran, ces décisions d'amnisties ne sont en aucun cas un aveu d'échec du pouvoir. "Le régime ne reconnait absolument pas que la répression a été trop violente. Avant d'être libérés, ces prisonniers ont dû signer un document assurant qu'ils ne recommenceront pas. Aussi, comme l'ont révélé des médias iraniens, les détenus qui ont tué des membres des forces de l'ordre sont toujours emprisonnés et encourent toujours des peines de mort".
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Pour la chercheure, "ce qui est proposé par le régime est de renouer le pacte social : la violence politique qui existe en Iran depuis les années 1980 a permis à l’État de construire une sorte de consensus de la société. Les opposants étaient considérés comme 'co-responsables' du degré de violence politique dans la société. Pour le pouvoir, il suffisait, pour ne pas avoir de violence politique, de ne pas s’opposer frontalement à l'État". Pourtant, depuis le décès de Mahsa Amini, le soulèvement de la population iranienne a "remis en cause ce pacte social". Une situation inédite, d'autant plus que "c’était la première fois que tous les pans de la société se soulevaient en même temps", reprend Chowra Makaremi.
Tous les pans de la société, et en particulier les femmes, initiatrices de ce mouvement. Sans avoir fait réellement évoluer la perception des femmes par l'État iranien, "le mouvement 'Femmes, vie, liberté' a un peu remis les pendules à l’heure, dans le sens où maintenant, tout le monde est au courant de la place et de la condition des femmes dans la société. Aussi, avant septembre 2022, les femmes qui laissaient tomber leur voile dans l’espace public avaient, selon l'État, 'un comportement déviant', alors qu'aujourd’hui c’est considéré comme un comportement tout à fait normal", détaille Chowra Makaremi. "Ce qui est inédit est que la demande de fin d’inégalité de genre soit utilisée comme un levier de changement de régime, que ce soit une demande révolutionnaire".
La contestation va-t-elle se poursuivre ?
Si la mobilisation semble pour le moment se tasser dans le pays, que va-t-il désormais se passer ? Pour Chowra Makaremi, plusieurs hypothèses sont possibles. "La question est de savoir si cet embrasement peut déclencher sur le long terme une organisation politique de la contestation qui pourrait être relayée à l’intérieur du pays et provoquer un changement de régime. Ou est-ce que l’État va refabriquer du consentement social par la force et la propagande et arriver à retisser un pacte avec la société qui va mettre tout cela sous silence, du moins jusqu’à la prochaine fois ?"
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Jusqu'à la prochaine fois, car le mécontentement de la population envers le régime et les raisons de la révolte sont toujours bien présents dans le pays. De nouvelles tensions pourraient notamment éclater autour du 20 mars prochain, date du Norouz, le nouvel an iranien, notamment à cause de la crise économique qui touche le pays. "La population va subir une nouvelle fois la dégringolade de son pouvoir d'achat", avance l'anthropologue. "De nombreux observateurs de la société iranienne attendent de voir si la crise économique et les nécessités de la survie vont rallumer le feu de la révolte."