En l’espace de deux jours, la société israélienne a assisté, consternée, à deux crimes violents. Jeudi soir, un ultra-orthodoxe armé d’un couteau s’est rué sur le défilé de Gay Pride de Jérusalem, blessant six personnes. Une jeune fille de 16 ans a succombé dimanche à ses blessures. Vendredi, c’est un bébé palestinien de 18 mois qui est mort, brûlé vif dans l’incendie de sa maison par des extrémistes en Cisjordanie. Deux drames sans rapport l’un avec l’autre, après lesquels le Premier ministre Benjamin Netanyahou a promis la "tolérance zéro". Un vœu pieux ? Éléments de réponse avec Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences Po, et auteur de "Géopolitique du sionisme".
Quels sont les liens entre les ultra-orthodoxes et les colons extrémistes ? "Ils sont presque totalement différents. Les ultra-orthodoxes ne font pas de politique, cela ne les intéresse pas. Pour faire court, ils attendent le retour du Messie. Bien sûr, ils soutiennent des partis politiques, et d’ailleurs, deux d’entre eux sont au gouvernement, mais ce n’est pas la grande majorité. Beaucoup sont carrément antisionistes, car ils considèrent que le sionisme est une idéologie qui contrevient aux commandements de la Torah et que des juifs se sont fait Dieu à la place de Dieu. Ces gens-là supportent très difficilement le mode de fonctionnement israélien aujourd’hui, dans ses structures démocratiques, qui font que la Gay Pride a droit de cité à Jérusalem, par exemple. Les ultra-orthodoxes vivent très peu dans les territoires palestiniens et cela ne les intéresse pas de savoir si c’est à Tel-Aviv ou à Hébron qu’ils peuvent habiter, tant que les loyers ne sont pas trop chers et que leurs familles, très nombreuses, peuvent loger décemment.
Tandis que de l’autre côté, on trouve les ultra-nationalistes, qui sont évidemment sionistes, favorables au maintien des structures de l’Etat israélien et au Grand Israël. Eux, contrairement aux ultra-orthodoxes, font l’armée, utilisent éventuellement la violence, et sont favorables à l’annexion de la Cisjordanie et étaient défavorables au retrait de Gaza."
Benjamin Netanyahou a évoqué une forme de "terrorisme juif" et promis d’agir. Mais au-delà des déclarations, les choses peuvent-elles évoluer ? "Réélu au printemps dernier, Benjamin Netanyahou avait la possibilité de bâtir une coalition à gauche ou au centre. Il a préféré la bâtir à la droite nationaliste et religieuse. Ce qui signifie qu’aujourd’hui, il y a trois partis dans sa coalition qui sont pour deux d’entre eux ultra-orthodoxes et pour le troisième ultra-nationaliste. Aujourd’hui, Netanyahou tient son gouvernement à une voix de majorité sur les 120 membres que compte la Knesset. S’il se montre trop sévère ou trop dur, il tombe, car ces partis quitteront la coalition. Mais s’il ne l’est pas suffisamment, c’est la majorité de l’opinion publique qui ne tolèrera pas cette complaisance. Parce qu’il faut bien comprendre qu’en Israël aujourd’hui, les 10% d’ultra-orthodoxes sont détestés par la grande majorité de la population, d’abord parce qu’ils ne font pas l’armée, ensuite parce qu’ils sont extrémistes et fondamentalistes en termes de mœurs, on l’a bien vu avec cet attentat contre la Gay Pride. Netanyahou est sur la corde raide : il doit montrer beaucoup de fermeté et de capacité à être ferme et de l’autre côté, il ne peut pas se mettre à dos sa coalition.
Quant à la justice israélienne, elle a toujours été très ferme contre les ultra-orthodoxes. Mais il y a parfois une complaisance vis-à-vis des extrémistes parmi les Israéliens implantés en Cisjordanie ou qui l’étaient avant l’évacuation de Gaza."
Quelles mesures pourraient être prises à court terme côté israélien ? "La question de l’Etat de droit est fondamentale : Israël est une démocratie et elle s’en fait fort. Par conséquent, l’Etat de droit doit être appliqué pour l’ensemble de ses citoyens, où qu’ils se trouvent, y compris dans les territoires palestiniens. Que Benjamin Netanyahou soit favorable ou pas à une politique d’implantation, le fait que des gouvernements laissent des extrémistes provoquer des exactions à l’encontre des Palestiniens, c’est un affaiblissement dramatique de l’Etat de droit en Israël. Et cela, même Netanyahou a bien compris qu’il ne pouvait pas le laisser faire."