"Une chasse aux sorcières". Voilà comment le Premier ministre d'Israël, Benjamin Netanyahou, a réagi à l'intention affichée jeudi par le procureur général israélien, Avichaï Mandelblit, de l'inculper et de le faire juger pour corruption, fraude et abus de confiance. En décembre dernier déjà, la police israélienne avait recommandé l'inculpation du chef du gouvernement. À un peu plus d'un mois des élections législatives anticipées, qui doivent avoir lieu le 9 avril prochain, cette perspective fragilise l'homme fort de l'État hébreu et patron du parti de droite, le Likoud, en poste depuis près de dix ans maintenant, et candidat à sa propre succession.
Gros cadeaux et petits arrangements : trois affaires distinctes
Après plus de deux ans d'enquête, la justice a trois dossiers sur le feu concernant Benjamin Netanyahou. Le plus récent, dont le nom de code est "dossier 4.000", est aussi le plus récent. Il concerne les liens du Premier ministre israélien avec Bezeq, le plus grand groupe israélien de télécommunications. Au cœur de l'enquête : la fusion entre Bezeq et le fournisseur de télévision par satellite Yes effectuée en 2015 et qui nécessitait l'aval des autorités de contrôle.
À l'époque, Benjamin Netanyahou, qui a l'habitude de cumuler les postes au sein d'un même gouvernement - Premier ministre, il est aussi actuellement ministre de la Défense, de la Santé et était jusqu'au mois dernier encore ministre des Affaires étrangères - disposait du porte-feuille des télécommunications. Cette fusion Bezeq-Yes aurait rapporté des millions de dollars au groupe de télécommunications. En contrepartie, Benjamin Netanyahou aurait bénéficié d'une couverture complaisante de la part du site Internet Walla, propriété de Shaul Elovitch, alors principal actionnaire de Bezeq. Le Premier ministre se défend en indiquant que la fusion avait été validée par les autorités de contrôle comme étant pertinente.
La deuxième affaire repose sur les mêmes ressorts. Dans le "dossier 2.000", les enquêteurs suspectent Benjamin Netanyahou d'avoir tenté de conclure avec le propriétaire du journal Yediot Aharonot, Arnon Moses, un accord pour une couverture plus favorable de la part de ce qui est le plus grand quotidien israélien payant. En retour, le chef du gouvernement aurait évoqué avec Arnon Moses la possibilité de faire voter une loi qui aurait limité la diffusion d'Israel Hayom, un quotidien gratuit (dont vous pouvez voir la Une de vendredi ci-dessous), principal concurrent du Yediot…
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— ישראל היום - הדף הרשמי (@IsraelHayomHeb) March 1, 2019
La dernière affaire, le "dossier 1.000", est la plus clinquante. Cigares de luxe, bouteilles de champagne, bijoux… Benjamin Netanyahou et des membres de sa famille auraient reçu pour environ un million de shekels (soit plus de 240.000 euros) de cadeaux en tous genres de la part de richissimes personnalités, comme le producteur de cinéma Arnon Milchan, fondateur de la société New Regency (Pretty Woman, Fight Club, Twelve years a slave, Bohemian Rhapsody…), ou du milliardaire australien James Packer, ancien président de la chaîne Crown Resorts (hôtels, casinos, etc.), en échange de faveurs financières ou personnelles. Pour Benjamin Netanyahou, il s'agissait simplement de cadeaux de la part d'amis, qu'il n'avait pas sollicités.
Des proches ont accepté de collaborer avec la justice
Des amis, le Premier ministre israélien en a assurément perdus depuis quelques mois. Plusieurs de ses proches ont en effet accepté de collaborer avec la justice dans les dossiers qui le concernent. Dans le "dossier 4.000", deux de ses proches, Shlomo Filber, présenté comme l'un de ses hommes de confiance, et Nir Hefetz, ancien porte-parole personnel des Netanyahou (l'enquête avait été un temps élargie à la femme du Premier ministre, Sara, et à leur fille, Yaïr), ont accepté de coopérer avec les enquêteurs. Concernant le "dossier 2.000", Ari Harow, l'un de ses anciens chefs de cabinet, a lui aussi accepté de témoigner pour bénéficier d'un régime de clémence.
Dans l'épreuve, celui que l'on surnomme "Bibi" peut en revanche compter sur le soutien du président américain, Donald Trump, confronté lui aussi cette semaine à son passé avec le témoignage devant le Congrès de son ancien avocat, Michael Cohen, qui en a fait un portrait au vitriol, mercredi. "Je peux dire qu'il (Benjamin Netanyahou) a fait un excellent travail en tant que Premier ministre", a insisté Donald Trump depuis Hanoï jeudi, désignant le chef du gouvernement israélien comme quelqu'un de "dur, intelligent, fort". Le président des États-Unis, soutien historique d'Israël à travers les décennies, apparaît d'ailleurs sur des affiches électorales du candidat Netanyahou…
Un effet encore incertain sur les élections à venir, une longue lutte judiciaire envisageable
Les élections législatives, c'est évidemment le grand rendez-vous à venir pour Benjamin Netanyahou, 69 ans, qui brigue un cinquième mandat de Premier ministre, le quatrième consécutif. Le chef du gouvernement a lui-même avancé la date de ces élections, qui devaient avoir lieu novembre. Benjamin Netanyahou, toujours aussi combatif - Il avait déclaré dès décembre dernier qu'il ne démissionerait pas s'il devait être inculpé -, a eu tôt fait de rapprocher ses ennuis judiciaires de la perspective des élections. Car lorsqu'il parle de "chasse aux sorcières", il n'évoque pas temps le travail du procureur général que celui de ses adversaires politiques.
"La gauche sait parfaitement qu'elle ne peut pas nous battre dans les urnes, alors depuis trois ans (Les premiers soupçons de corruption le concernant remontent à 2016, ndlr), elle mène une chasse aux sorcières sans précédent pour renverser le gouvernement de droite que je dirige et installer à sa place le gouvernement gauchiste de Lapid et Gantz", a-t-il dit. Yaïr Lapid (à droite sur la photo ci-dessous) et Benny Gantz (à gauche), qui a appelé à la démission du Premier ministre, sont les têtes d'affiche de la liste centriste, principale concurrente de celle du Likoud, et que Benjamin Netanyahou place à gauche dans une volonté apparente de diviser la classe politique en deux camps : moi et les autres…
Selon le ministère de la Justice, la décision du procureur général n'est pas "définitive". Il offre au Premier ministre la possibilité de s'expliquer devant lui avant de le renvoyer éventuellement devant un tribunal. Une éventuelle inculpation devrait prendre des mois à prendre forme, sans parler de la première audience d'un procès, sachant que Benjamin Netanyahou, déterminé à rester au pouvoir - "J'ai l'intention de continuer à vous servir en tant que Premier ministre pendant encore de nombreuses années", a-t-il insisté -, devrait écluser toutes les possibilités d'appel le cas échéant, ce qui retarderait d'autant plus la procédure.
Pour autant, la déclaration d'intention du procureur pourrait changer la donne à quelques semaines des élections. Les enquêtes d'opinion donnent depuis peu la liste centriste de Benny Gantz en tête devant le Likoud. Mais le parti de Benjamin Netanyahou, qui ne sera pas entendu avant le 9 avril, reste le mieux placé pour former une coalition gouvernementale avec les autres partis de droite, qui ont dit maintenir leur soutien à Benjamin Netanyahou pour rester Premier ministre après les élections.
S'il devait être reconduit à son poste puis inculpé ensuite, ce serait une première dans l'histoire d'Israël, jamais un chef de gouvernement en activité n'ayant connu cette situation par le passé. De quoi faire réfléchir les électeurs, alors que l'État hébreu reste confronté à de nombreux défis, économiques et sécuritaires.