On n’est jamais mort en politique et Silvio Berlusconi en est le parfait exemple. Défait, condamné par la justice, perdu du vue… Sur le papier, c'est de loin qu'il devait regarder le résultat des prochaines élections législatives italiennes, dimanche 4 mars. Aujourd’hui inéligible, l’ancien président du Conseil sera en réalité l’un des principaux acteurs de ce scrutin très incertain, à la tête de son parti Forza Italia, impliqué dans une coalition avec la Ligue (ancienne Ligue du Nord) et les Frères d’Italie (parti nationaliste) pour tenter de ravir le pouvoir au Parti Démocrate. Près de cinq ans après son départ forcé du Sénat, celui qu’on surnommait autrefois "Il Cavaliere" est miraculeusement revenu au cœur du jeu politique italien, 24 ans après le début du premier de ses trois mandats à la présidence du Conseil.
Un rythme de vie moins sulfureux
Le visage n’a presque pas changé, la chance (ou la faute ?) à un penchant jamais vraiment revendiqué pour la chirurgie esthétique, comme au temps de sa splendeur des années 1990 et 2000. Le rythme de vie, lui, s’est ralenti. Fini les soirées "bunga-bunga" où l’on pouvait trouver de la drogue et des mineures dans le luxe de sa Villa San Martino, sur les hauteurs de Milan. C’est d’ailleurs l’affaire concernant l’une de ces filles, Ruby, qui avait précipité sa chute au point de la faire quitter la présidence du Conseil en 2011. Aujourd’hui, l’octogénaire s’est calmé, au point de devenir un adepte de la marche au régime végétarien.
" Il était sur la touche, avec une position d’outsider. Il s’est refait une virginité "
La manière de faire campagne n’est plus vraiment la même non plus. Désormais, le Caïman n’enchaîne plus les meetings comme il le faisait en 1994, lorsqu’il est parvenu au pouvoir pour la première fois, l’année du lancement ex nihilo de Forza Italia. "Il a 81 ans et revient d’une opération à cœur ouvert" en juin 2016, rappelle Camille Bedock, post-doctorante à l’Université libre de Bruxelles et spécialiste de l’Italie. L’épreuve médicale l’a fatigué et depuis, Silvio Berlusconi reste en retrait, à Arcore, consultant son carré de fidèles pour la stratégie à adopter avant l’échéance de mars.
L’échec de Matteo Renzi
Celle-ci s’annonce comme l’une des plus compliquées de sa vie politique. "Les derniers sondages donnent sa coalition aux alentours des 36%, sachant qu’il faudra selon les spécialistes au moins 40% des suffrages pour gouverner", explique Camille Bedock. "L’enjeu, pour lui, c’est donc de dépasser ce seuil, mais aussi d’arriver premier au sein de la coalition. Car il a un accord tacite avec Matteo Salvini, le leader du Mouvement 5 Étoiles, populiste et inclassable sur l'échiquier politique : le parti arrivé en premier choisira le président du Conseil." Si Berlusconi l’emporte, on parle d’Antonio Tajani, aujourd’hui président du Parlement européen, pour le poste.
Plus surprenant : l’actuel locataire du Palazzo Chigi, Paolo Gentiloni (Parti Démocrate, centre-gauche), pourrait rester aux affaires, un peu plus d’un an après son remplacement du démissionnaire Matteo Renzi. Là se trouve l’une des raisons du retour au premier plan de l’ancien Cavaliere. "Il aurait définitivement quitté la vie politique si Renzi avait remporté le référendum constitutionnel proposé en décembre 2016", analyse Camille Bedock, mais l’échec du renzisme l’a réhabilité, "lui qui a été sur la touche, avec une position d’outsider. Il n’a pas été mêlé à la crise politique qui a eu lieu et s’est en quelque sorte refait une virginité", ose Ludmila Acone, chercheuse à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne et spécialiste de l'Italie contemporaine.
Une image peu écornée auprès des Italiens
Le Parti Démocrate de Renzi décrédibilisé, le Mouvement 5 Étoiles toujours hostile à une coalition, la Ligue de Matteo Salvini (entre droite et extrême droite) pas encore très bien implanté, Forza Italia est réapparu aux yeux des Italiens comme le visage possible d’une opposition crédible. Dans les faits, cela s’est traduit par une victoire aux élections régionales de Sicile, en novembre dernier. Une rampe de lancement, en somme, pour un parti "qui peut apparaître comme une coquille vide sans Silvio Berlusconi, avec une vocation seulement électorale. La question de sa succession ne s’est jamais posée", indique Camille Bedock.
" Les électeurs fidèles ne cesseront jamais d’être convaincus par lui et ses charges contre une justice aux ordres "
Car la valeur Berlusconi est toujours prisée de l’autre côté des Alpes. "Au fond, les Italiens se disent qu’il est riche, qu’il se comporte comme il veut et qu’il fait ce qu’ils aimeraient faire. Ses affaires judiciaires, c’est de l’histoire ancienne pour les gens", avance Ludmila Acone. Pas de rancœur populaire, donc, envers ses 60 mises en examen accumulées depuis près de 25 ans et sa condamnation pour "fraude fiscale" en 2013, déclenchant son inéligibilité. Il pourrait encore être inquiété dans plusieurs affaires, dont son implication supposée dans des crimes commis par la mafia au début des années 1990. "Mais les électeurs fidèles ne cesseront jamais d’être convaincus par lui et ses charges contre une justice aux ordres", estime Camille Bedock. Selon les dernières enquêtes d’opinion, Forza Italia recueille 16,8% des suffrages.
Pour concrétiser ce retour, Silvio Berlusconi est revenu aux fondamentaux : séduire les retraités, les catégories populaires et tous les Italiens inquiets du déclassement social, dans un pays où le taux de chômage est à 11,2%, deux points au dessus de la moyenne de la zone euro. Cette année, c’est une "flat tax", un impôt sur le revenu à taux unique de 23%, qui est la pierre angulaire du programme économique de Forza Italia. "Payez moins mais payez tous", répète à l’envi Berlusconi, tandis que les revenus sont aujourd’hui imposés de 23% à 43% dans la Botte.
Un discours ferme sur l'immigration
Si le parti du milliardaire l’emporte au sein de la coalition de centre-droit (qui tend plutôt vers la droite ferme selon les spécialistes), il le devra peut-être avant tout à ses propositions en matière de sécurité et d’immigration, alors que l’Italie se remet difficilement de l’épisode de Macerata. Début février, un agent de sécurité de 28 ans a ouvert le feu sur une dizaine d’Africains dans cette ville moyenne du centre du pays. Le motif de cette attaque à caractère fasciste (l'assaillant a fait un salut nazi avant d'être arrêté) : le meurtre d’une jeune fille de 18 ans et l’arrestation d’un Nigérian, suspecté d’en être l’auteur, fin janvier.
L’extrême droite italienne a profité de l’affaire de Macerata pour dénoncer "l’invasion" de migrants subsahariens en Italie. "Environ 80% de la population s’accorde pour dire qu’il faut lutter contre l’immigration et les partis sont globalement d’accord avec cette idée", détaille Camille Bedock. Forza Italia ne dépareille pas : Silvio Berlusconi parle d’une "bombe sociale prête à exploser" et ne demande pas moins que le renvoi de 600.000 immigrés illégaux du pays. Paradoxalement, "il apparaît comme un rempart face aux populistes du Mouvement 5 Étoiles", explique Ludmila Acone. "Chez les Italiens qui éprouvent de la rancœur, il y a certes l’idée qu’il faut sortir les sortants, mais il y a aussi le sentiment que ceux qui sont sortis n’étaient pas forcément les plus mauvais." C’est sur cette indulgence que l’éternel cavalier milanais compte pour réussir l’une de ses dernières cavalcades politiques.