Italie : le carton plein des anti-européens

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Si aucune majorité ne s’est dégagée des résultats des législatives de dimanche, le premier enseignement, c’est la victoire des formations eurosceptiques. Avec de probables conséquences sur les relations avec Bruxelles.

L’Italie ne connaît pas encore le nom de son futur Premier ministre, aucun grand parti ou coalition potentielle n’ayant a priori remporté les élections législatives, selon les premières estimations rendues publiques dimanche soir. Mais au milieu de cette grande incertitude, un camp l’a bel et bien emporté : celui des eurosceptiques, voire même des europhobes. "Ce vote est aussi un échec de l’Europe, qui a perdu la mémoire des liens très particuliers tissés entre elle et l’Italie", juge ainsi la politologue Elena Musiani, chercheuse au CNRS, dans Le Monde. Plus d’un électeur italien sur deux a exprimé dans les urnes sa méfiance, sinon son hostilité, à l’égard de l’Union européenne. Avec deux grands gagnants, le Mouvement 5 étoiles et la Ligue, ex-Ligue du Nord.

  • Le Mouvement 5 étoiles, premier parti d’Italie

Avec pourtant moins de dix ans d’existence, le "M5S" peut désormais se targuer d’être devenu la première formation politique d’Italie. Avec plus de 32% des voix, le parti fondé par l’humoriste Beppe Grillo, qui s’est depuis mis en retrait, fait mieux que tous ses adversaires. Revendiqué comme apolitique, ni de droite ni de gauche, le mouvement a fait son lit du credo anti-système en général et de l’euroscepticisme en particulier. Disposant depuis 2014 de 14 députés au Parlement européen, il siège au sein du groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe, aux côtés du Ukip britannique ou des Patriotes de Florian Philippot. Des camarades pas franchement fans de Bruxelles et de ses arcanes.

Cette vague eurosceptique sur laquelle le M5S version Luigi di Maio, 31 ans seulement, a surfé, c’est d’abord celle de l’Italie du Sud, plus populaire et plus pauvre que celle du Nord. Le mouvement a réalisé ses plus gros scores en Campanie ou en Sicile, profitant à plein de l’effondrement de la gauche. Il s’agit plus là de la traduction de l’exaspération d’une population en déshérence qu’une aspiration au souverainisme.

  • A droite, la Ligue aux portes du pouvoir

C’est finalement tout le contraire pour la Ligue. Car c’est bien dans le Nord du pays, plus prospère, que l’ancienne Ligue du Nord, a réalisé ses plus gros scores. Devenu, sous la férule de Matteo Salvini, nationaliste après avoir été régionaliste, le parti n’a pas abandonné sa ligne idéologique, faite de populisme et de droite radicale, le classant souvent à l’extrême droite. Avec près de 18% des voix, il a toute légitimité pour prendre les rênes de la coalition de droite, arrivée en tête avec plus de 37% des suffrages. Surtout, La Ligue a devancé son partenaire Forza Italia, de Silvio Berlusconi, qui précisément s’était présenté auprès de Bruxelles comme le garant de bonnes relations entre l’UE et l’Italie. Avec moins de 14% des voix, le Cavaliere, qui s’est muré dans le silence, subit une vraie déconvenue électorale.

Et c’est donc Matteo Salvini, pourfendeur de Bruxelles et de l’euro donc, mais aussi des immigrés, de l’islam ou encore du mariage gay, qui est le mieux placé pour devenir le prochain président du Conseil italien. Ce qui tendrait fatalement les relations avec l’Union européenne, dont l’Italie est l’un des membres fondateurs.

  • Quid des relations avec Bruxelles ?

Elles s’annoncent quoi qu’il en soit compliquées. Les résultats italiens sont d’ailleurs une mauvaise nouvelle pour les volontés réformatrices portées par la France et par l’Allemagne. "Certains, opposés à une réforme de l'Europe telle que la souhaite Paris, vont affirmer que maintenant plus que jamais, avec la confusion en Italie, ce n'est pas le bon moment pour prendre des risques", explique à l'AFP Janis Emmanouilidis, directeur d'études aux Centre de politique européenne (EPC). "D'autres diront que c'est justement parce que ces électeurs en ont assez de la situation économique et de la gestion de la crise des migrants que nous devons changer les choses", argue-t-il.

"Frictions". Sur le plan économique, le plus grand risque, selon les analystes, serait de voir Rome accroître ses dépenses budgétaires au mépris des règles européennes, au fur et à mesure que les nouveaux dirigeants italiens mettront en oeuvre leurs promesses de campagne. Cela pourrait créer des "frictions entre Rome et la Commission européenne", considère Federico Santi, chercheur au sein du think tank américain Eurasia Group. "L'Italie court déjà le risque de ne pas respecter les objectifs budgétaires fixés par l'UE et tout dérapage supplémentaire pourrait entraîner une nouvelle procédure de déficit excessif", résume-t-il.

Jack Allen, analyste au cabinet-conseil Capital Economics, considère lui que "de nouveaux progrès sur l'intégration européenne pourraient être difficiles". Le nouveau gouvernement italien pourrait commencer par "repousser les efforts visant à augmenter les contributions de l'Italie au budget de l'UE" après le départ du Royaume-Uni. Il craint aussi que le M5S ne demande à nouveau "un référendum sur la place de l'Italie dans la zone euro", un des points clés de son programme jusqu'à il y a quelques mois.

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Et maintenant ?

Lundi, Matteo Salvini et Luigi Di Maio ont tous deux successivement revendiqué le droit de former un gouvernement après les résultats de la veille. Constitutionnellement, c’est le président de la République Sergio Mattarella qui a désormais la main. L’homme a un peu de temps devant lui, puisqu’il doit attendre l’ouverture de la législature, le 23 mars, et que soient élus les présidents de l’assemblée et du Sénat pour que s’ouvrent officiellement les négociations. En attendant, le chef de l’Etat italien peut déjà réfléchir à plusieurs scénarios.

  • Une coalition droite/extrême droite

Comme l'avaient annoncé les sondages, la coalition rassemblant Forza Italia (FI, centre droit) de Silvio Berlusconi et la Ligue (extrême droite) de Matteo Salvini a recueilli environ 37% des voix, selon des résultats partiels portant sur près de 90% des bureaux de vote. Mais à la surprise générale, c'est la Ligue qui a recueilli 18% des voix, largement devant FI (14%). Toutefois, la majorité absolue semble d'ores et déjà hors de portée. Si cela devait être le cas, il est certain que Matteo Salvini revendiquera la direction de la coalition et d'un éventuel gouvernement ... même si rien n'assure que Silvio Berlusconi tiendra sa parole et se rangera bien derrière lui.     

  • Un gouvernement 5 étoiles

Le Mouvement 5 étoiles est devenu le premier parti du pays et frôle les 32%, mais cela sera insuffisant pour obtenir une majorité au Parlement. Une alliance "antisystème" entre le M5S et la Ligue semble la seule susceptible d'obtenir cette majorité, même si elle donne des sueurs froides à Bruxelles. Mais les dirigeants des deux formations ont jusqu'à présent catégoriquement rejeté cette éventualité, et une partie de leurs troupes pourraient avoir du mal à suivre s'ils changent d'avis.

Une autre option serait de discuter avec le Parti démocrate (PD, centre gauche) et les petits partis de gauche. Il faudrait probablement pour cela que Matteo Renzi, qui a juré de ne jamais faire alliance avec les "extrémistes", cède la direction du PD à quelqu'un de plus compatible. De telles discussions avaient eu lieu en 2013, sans aboutir à un accord. Mais, le M5S a changé et Luigi Di Maio s'est montré plus ouvert au dialogue. De plus, avec 19% des voix, le PD n'est plus en position de force.

  • Pas de majorité

Si aucune majorité ne se dessine, le président de la République Sergio Mattarella devrait laisser en place le gouvernement actuel de Paolo Gentiloni (centre gauche), qui n'a pas besoin de demander la confiance du nouveau Parlement pour gérer les affaires courantes. Le temps éventuellement de convoquer de nouvelles élections, avant, certains l'avancent, le vote d'une nouvelle loi électorale.