>> Pendant dix jours notre reporter parcourt l'Europe du Sud pour comprendre comment nos voisins européens vivent leur déconfinement, la réouverture des frontières, l'approche des vacances, mais aussi prendre le pouls de l’économie locale. Un voyage de l'Italie jusqu'à la Grèce, en passant par les Balkans et la côte Adriatique. Pour la première étape de son "tour du déconfinement" européen, Jean-Sébastien Soldaini s'est arrêté de l'autre côté de la frontière, en Italie, plus précisément dans la ville de Vintimille, très prisée des touristes français. Il raconte la première étape de son voyage.
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Un poste frontière désert...
L’entrée en Italie se fait par le poste frontière de Menton. L’endroit est désert car au moment où je suis passé, la frontière n’était ouverte que pour ceux qui avaient une raison précise de se rendre en Italie. Le filtrage est assuré par l’armée italienne, elle vérifie mes papiers et me demande de signer une autorisation sur le même modèle que l’attestation de déplacement française pendant le confinement. On me demande tout de même d’y détailler mon parcours et l’objet de mes reportages avant de la faire signer et tamponner par un officier.
L'affluence au poste frontière de Menton est un avant goût de celle que je vais retrouver à Vintimille. Crédit photo : Jean-Sébastien Soldaïni / Europe 1
... tout comme les commerces de Vintimille
Le long des cinq kilomètres qui séparent la frontière de la ville de Vintimille, quelques vendeurs ambulants ont disposé leurs stands. Ils y vendent essentiellement des fruits et légumes. Tout comme les habitants de Vintimille pour qui les échanges transfrontaliers semblent vitaux, ils attendent eux aussi l’arrivée des touristes français. Et on comprend pourquoi : alors que le 2 juin est un jour férié sur la "Botte" [la fête de la République italienne, ndlr], et malgré un temps superbe, les Italiens ne sont pas venus à Vintimille : les plages, bars et restaurants sont déserts.
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C'est sur la passeggiata Cavalotti, le front de mer, que je croise le regard de Suzanna Spano, la patronne du restaurant "Il Brigantino" qui a vue sur la mer Ligure. Visière en plexiglas posée de travers et masque descendu sur le menton, elle soupire lorsqu’elle m'explique la "traversée" de ce confinement. Son établissement, presque pieds dans l'eau, est ouvert depuis le 18 mai, mais lorsqu’elle jette un regard attristé vers la mer, tout ce qu’elle voit sur les galets, ce sont des transats parfaitement alignés... mais vides.
La plage est prête, il ne manque que les touristes. Crédit photo : Jean-Sébastien Soldaïni / Europe 1
Si les touristes français ne viennent pas, "on peut fermer"
Si elle n'a pas mis la clé sous la porte, c'est parce qu'elle avait "de l'argent de côté". C'est aussi grâce à ça qu'elle a pu garder ses employés alors que l'aide de l'État se limite pour l'instant à "12 jours de salaire", m'explique-t-elle. "12 jours du mois de mars et puis plus rien, c’est dur. L’Italie, ce n’est pas comme la France : chez vous, le 31, c’est le 31. Vous payez à temps, pas ici ! Si on attend que l’Italie les paye, ils meurent de faim." Alors elle leur a fait faire tout ce qu'elle pouvait, peinture, nettoyage du bar, de la plage... Des activités "pour qu’ils puissent manger et s’acheter des cigarettes. Parce que trois mois sans travailler, ti sparri [tu te tires une balle, ndlr]", me dit-elle en mimant avec ses doigts un pistolet sur la tempe.
Suzanna n'a pas le moral, et l'ambiance sur sa partie de plage ne l'aide pas. L'espoir de voir des compatriotes s'allonger au soleil le 2 juin envolé, elle le sait, tout repose sur les touristes français maintenant que la frontière est ouverte. "On espère vraiment leur retour, c'est 100% de notre business. S’ils ne viennent pas on peut fermer", m'avoue-t-elle. Une situation qui ne concerne pas seulement les restaurants, "mais tous les secteurs". Car avec des prix plus avantageux, "même les plombiers viennent acheter du matériel ici".
Suzanna Spano espère voir son restaurant et ses transats se remplir rapidement avec l'ouverture de la frontière. Crédit photo : Jean-Sébastien Soldaïni / Europe 1
Le marché de Vintimille, dernière bouée de sauvetage pour une saison qui prend l'eau
Regard tourné vers ses transats désespérément vides, elle me parle du très populaire marché de Vintimille qui draine chaque vendredi des centaines de clients transfrontaliers. Je comprends qu'il s'agit là de la dernière bouée de sauvetage pour tenter de limiter la casse et de sauver ce qui peut l'être de la saison touristique de cette ville de 55.000 habitants. "Le vendredi c’est une fête, c’est comme s’il y avait un mariage chaque semaine le long de la promenade", affirme-t-elle en me désignant le bitume qui passe juste devant son établissement.
Mais cette bouffée d'oxygène n'est prévue que le 12 juin seulement, le temps de mettre en place les mesures sanitaires qui s'imposent. "S'il n'y a pas de marché, il n'y a pas de Français", résume-t-elle en sortant son smartphone pour lancer l'hymne italien à travers les enceintes connectées de son restaurant, une tentative pour attirer la poignée de personnes qui se baladent sur le front de mer, en vain. Alors, comme pour appeler les voisins à la rescousse, elle change son fusil d'épaule et diffuse La Marseillaise.