Le scénario de roman d'espionnage continue de s'écrire. Dix jours après l'assassinat de Kim Jong-Nam, demi-frère du dirigeant nord-coréen et critique du régime de Pyongyang, la police malaisienne a annoncé avoir identifié le poison utilisé par ses meurtriers, jeudi. Des traces de XV, l'un des agents chimiques les plus mortels jamais produits, ont été retrouvées dans des échantillons prélevés sur le visage les yeux de la victime. L'homme, pourtant corpulent, est décédé seulement quelques minutes après que deux femmes lui ont jeté le produit, dans l'ambulance qui le conduisant de l'aéroport de Kuala Lumpur à l'hôpital.
Dix fois plus puissant que le gaz sarin. Le XV, du nom de code que lui ont attribué les scientifiques américains, était stocké en grandes quantités aux Etats-Unis pendant la Guerre froide. Indolore et inodore à l'état pur, il ressemble à de l'huile de moteur mais présente des propriétés meurtrières dix fois supérieures à celles du gaz sarin, notamment utilisé comme arme chimique par l'Irak de Saddam Hussein. Selon Yosuke Yamasoto, ancien principal de l'École de chimie des forces terrestres d'autodéfense japonaises, "il peut tuer un adulte de 70 kilos avec seulement cinq milligrammes sur la peau." Des antidotes existent, mais le traitement doit être immédiat.
Mais même si le personnel de l'infirmerie de l'aéroport, où Kim Jong-Nam a dans un premier temps été transporté, avait connu la nature du poison, aucun remède n'aurait pu être injecté au Nord-Coréen, exilé à Macao. Et pour cause : inscrit sur la liste des armes de destruction massive de l'ONU, le XV est prohibé. La Convention internationale sur l'interdiction des armes chimiques (CIAC) - dont la Corée du Nord n'est pas signataire - contraint les pays à déclarer leurs stocks de cette substance, et à les détruire progressivement.
Des valises non soumises aux contrôles. Comment ce produit chimique illégal a-t-il pu entrer sur le sol malaisien ? L'une des hypothèses avancées par les experts en défense de la région est le transit via des valises diplomatiques, non soumises aux contrôles habituels à la douane. Cette possibilité renforce les soupçons du gouvernement sud-coréen, pour qui l'attaque porte la signature de son voisin du nord. Par le passé, Pyongyang a en effet fabriqué du XV, mais aussi utilisé des valises diplomatiques "pour faire passer en contrebande des matières qui seraient soumises à des contrôles si elles transitaient par les canaux habituels", selon un expert.
Depuis le début de cette mystérieuse affaire, l'ombre du demi-frère de la victime, Kim Jong-Un, plane au-dessus de l'enquête malaisienne. Trois suspects se trouvent en détention provisoire : les deux femmes à l'origine du jet de poison, une Vietnamienne et une Indonésienne, ainsi qu'un Nord-Coréen. La police soupçonne également quatre autres ressortissants du régime de Pyongyang, qui ont fui la Malaisie le jour du crime. Elle souhaite en interroger trois autres, dont un diplomate, résidant à Kuala Lumpur mais déterminé au silence et protégé par son statut diplomatique. "Quand on n'a rien à cacher, on ne devrait pas avoir peur de coopérer", soufflait, jeudi, le chef de la police malaisienne.
"Elle était parfaitement au courant que c'était toxique". Les enquêteurs sont en tout cas sûr d'une chose : les deux exécutantes savaient pertinemment qu'elles se rendaient coupables d'une attaque au poison, contrairement à leur ligne de défense, selon laquelle elles auraient été piégées par des inconnus, pensant participer à un jeu télévisé. "La dame s'éloignait vers les toilettes, avec les mains en avant. Elle était parfaitement au courant que c'était toxique et qu'elle devait se laver les mains après", a souligné le responsable de l'enquête.
Face à ces premiers éléments, la Corée du Nord a rompu le silence dans lequel elle s'était enfermée depuis l'assassinat, jeudi, en tirant à boulets rouge sur la Malaisie. : l'agence de presse officielle KCNA a accusé Kuala Lumpur d'être responsable du décès et de comploter avec la Corée du Sud. Pyongyang a aussi critiqué la Malaisie pour ne pas avoir remis le corps à la partie nord-coréenne, "sous le prétexte absurde" qu'une comparaison des ADN avec une personne de la famille du défunt était nécessaire. En dix jours, aucun proche ne s'est présenté à l'hôpital de Kuala Lumpur, où la dépouille de Kim Jong-Nam est conservée.