La course vers la banquise est lancée. Face à la raréfaction des ressources en hydrocarbures, l'Arctique, un continent grand comme 40 fois la France, fait figure d'eldorado pour les puissances voisines, qui lorgnent sur les réserves en pétrole que recèle le Pôle Nord. C'est pourquoi Washington a autorisé lundi la compagnie Shell à commencer ses forages dans les eaux territoriales américaines s'étendant sur l'océan Arctique, rapporte le New York Times. Et pour cause, selon Roland Vially, géologue à l'Institut Français du pétrole, ce continent pèserait 5% des ressources mondiales en pétrole et pas loin de 25% des ressources gazières de la planète.
Shell autorisé à forer. Mais les Etats-Unis n'ont pas accordé cette autorisation sans contreparties. Abigail Ross Hopper, la directrice générale de l'agence fédérale chargée de la gestion des océans (Boem), a assuré que le gouvernement avait exigé que Shell respecte l'écosystème de la région de la mer de Chukchi, entre l'Alaska et la Sibérie, où la compagnie opérera. Elle a aussi exigé que soient respectées les conditions de vie et la culture des habitants de l'Alaska présents sur la côte.
Difficultés techniques pour extraire du pétrole. Une victoire pour Shell, qui lorgne depuis de longues années sur ces ressources en hydrocarbures. La compagnie anglo-néerlandaise avait obtenu l'aval de la Maison Blanche pour réaliser les premiers forages dès 2012. Mais les conditions extrêmes d'extraction du pétrole offshore (température, profondeur des fonds marins, instabilité des sols due au dégel, collision des plates-formes avec des icebergs) avaient découragé Shell. Comme l'explique Roland Vially, "la rentabilité des gisements est encore incertaine", et ce d'autant plus que le prix du baril a chuté ces derniers mois. Un an plus tard, en 2013, devant ces retards, le gouvernement avait finalement annulé son autorisation.
Colère des défenseurs de l'environnement. La volte-face du gouvernement américain lundi a donc suscité l'indignation de nombreuses associations de défense de l'environnement. Susan Murray, vice-présidente d'Oceana, dénonce une "mise en danger de nos ressources océaniques" : "Shell n'a pas démontré qu'il était disposé à opérer de manière responsable dans l'Arctique", a-t-elle déploré. Le principal danger de l'extraction pétrolière en Arctique ? La perturbation de la chaîne alimentaire des océans, mais aussi le risque de voir se reproduire le même accident industriel d'envergure que celui qui avait frappé le Golfe du Mexique, quand la fuite sur la plate-forme Deepwater Horizon avait provoqué le déversement de 4,9 millions de barils de brut dans la mer.
Tensions géopolitiques. Malgré le risque environnemental, les différentes puissances voisines du Pôle Nord, (Norvège, Danemark par le biais du Groenland, Canada, Etats-Unis et Russie) multiplient les revendications territoriales en Arctique, comme le résume bien cette infographie interactive du Monde. Le gouvernement canadien de Stephen Harper, très favorable à l'extraction pétrolière, envoie par exemple régulièrement des navires sillonner l'océan, tandis que la Russie a organisé une expédition pour planter son drapeau sur la banquise en 2007. Car au-delà des ressources énergétiques qu'il recèle, la fonte des glaces fait de cette grande étendue maritime une nouvelle route commerciale de plus en plus praticable.
Fonte des glaces et nouvel intérêt commercial. Comme l'explique la chercheuse Alexandra Bellayer-Roille, "le passage par les routes arctiques fait gagner beaucoup de temps comparé aux passages par les canaux de Panama ou de Suez (…). Le passage Nord-Est ramènerait la distance entre Rotterdam et Yokohama (deux ports industriels et commerciaux majeurs, ndlr) de 11.200 à 6.500 miles nautiques". Pas étonnant donc que les Etats limitrophes s'écharpent pour étendre leurs eaux territoriales dans la région.
L'Onu en arbitre. Dans cette empoignade, l'Onu joue le rôle d'arbitre. La Norvège et la Russie ont déposé devant sa commission sur les limites du plateau continental une demande d'extension de leurs zones. Les Etats-Unis, eux, n'ont toujours pas ratifié le traité sur les frontières marines de Montenego Bay et tentent ainsi de faire pression sur leurs adversaires.