Une commission parlementaire américaine a approuvé mercredi et jeudi une série de projets de lois visant directement Google, Apple, Facebook et Amazon, et serait susceptible de transformer l'internet façonné par ces grandes entreprises si elle entrait en vigueur.
Au terme d'une session marathon de près de 24 heures en tout, les élus ont recommandé 6 mesures à la Chambre des représentants, de la propriété des données des utilisateurs aux moyens de favoriser la concurrence.
"Qu'ils respectent les mêmes règles que tout le monde"
"C'est une immense victoire pour les consommateurs, les travailleurs et les PME", s'est félicité sur Twitter le démocrate David Cicilline, président de la sous-commission sur l'antitrust. Ces réformes doivent permettre de "construire une économie numérique plus forte en faisant enfin rendre des comptes aux monopoles tous puissants de la tech et en garantissant qu'ils respectent les mêmes règles du jeu que tout le monde", avait-il indiqué mardi.
"Des conflits d'intérêt irréconciliables"
Le dernier texte adopté jeudi s'attaque à un problème de fonds : il entend limiter le contrôle exercé par ces sociétés sur leurs plateformes de vente, où elles sont à la fois juges et parties. Amazon, par exemple, commercialise ses propres produits sur son site de commerce en ligne, où elle fixe aussi les règles pour les autres entreprises qui y vendent des biens. Apple est aussi concernée à cause de l'App Store, son magasin d'applications incontournable sur les iPhone pour les éditeurs d'applis tierces.
"Le double rôle des plateformes dominantes crée des conflits d'intérêt irréconciliables", a souligné David Cicilline. Le projet de loi "résoudrait le problème en les obligeant à choisir entre être une plateforme ou commercialiser des produits et services sur une plateforme".
La mesure ouvre ainsi potentiellement la voie à des démantèlements : Amazon pourrait devoir se séparer de sa division de produits pour la maison, ou Apple de son service de streaming de musique.
Des mesures fortes
La commission judiciaire a par ailleurs approuvé une proposition qui imposera la "portabilité" des données et l'"interopérabilité" des services, pour faciliter les démarches d'utilisateurs souhaitant quitter Facebook, par exemple. "Si vous ne pouvez pas déplacer vos informations, vous êtes prisonnier de la plateforme", avait argumenté mercredi la démocrate Zoe Lofgren.
La commission a aussi adopté un projet de loi visant à interdire aux colosses de la tech d'acquérir des concurrents pour préserver leur pouvoir de marché. Et les élus ont donné leur feu vert au projet qui interdirait aux plateformes de privilégier leurs propres produits - Google ne pourrait plus afficher ses propres services en haut des résultats de recherche sur internet, par exemple.
Après des années de réprimandes, quelques amendes, et des offensives principalement européennes, ces politiques américains ont décidé d'en découdre. Des poursuites ont été lancées ces derniers mois, notamment contre Google et Facebook, pour infraction au droit de la concurrence.
"L'Amérique en a assez", avait assené en introduction mercredi matin David Cicilline, après 15 mois d'enquêtes et d'auditions sur les pouvoirs accumulés par les Gafa. "L'avenir de notre économie va-t-il être défini par le succès des meilleures entreprises avec les meilleures idées, ou simplement les plus grosses sociétés avec les plus gros budgets de lobbying?", avait-il demandé.
Direction la Chambre des représentants et le Sénat
Une fois adoptées au niveau de la commission judiciaire, les propositions de lois devront passer par la Chambre des représentants, à majorité démocrate, puis par le Sénat, où leur sort est plus incertain.
Nancy Pelosi, présidente démocrate de la Chambre, a indiqué jeudi avoir parlé avec le patron d'Apple, Tim Cook, le prévenant que les parlementaires iraient de l'avant malgré le lobbying de la Silicon Valley. "Il y a des inquiétudes à droite comme à gauche concernant la consolidation du pouvoir des firmes technologiques et cette législation vise à y remédier", a-t-elle dit. Mais pour le républicain Darrell Issa, ces propositions "radicales" risquent d'aller "mourir au Sénat si jamais elles réchappent de la Chambre".
Les géants visés se défendent
De nombreux politiques et les firmes visées font valoir le risque de conséquences imprévues sur des services utilisés par des centaines de millions de personnes dans le monde. Apple a insisté sur les dangers de sécurité que poserait selon elle l'ouverture des iPhone à des applis téléchargées en-dehors de son circuit bien contrôlé.
Réguler les plateformes "aurait des effets négatifs significatifs pour les centaines de milliers de PME américaines qui vendent des produits via notre magasin", a de son côté assuré Brian Huseman, un vice-président d'Amazon.