Une enquête des Nations unies vient de conclure qu'une frappe aérienne conduite par l'armée française au Mali en janvier avait tué 19 civils, et pas seulement des djihadistes. Un rapport que conteste le ministère français des Armées. L'enquête de la Mission de l'Onu au Mali (Minusma) constitue la plus sérieuse mise en cause d'une opération de la force antijihadiste Barkhane par les Nations unies depuis le début de l'engagement français au Sahel, en 2013. Europe 1 fait le point sur les éléments de l'enquête.
Quels sont les faits sur lesquels porte l'enquête ?
Le 3 janvier, une frappe française cible le village de Bounti, au centre du Mali. Les autorités françaises annoncent avoir touché "un groupe armé terroriste identifié comme tel", avec trois bombes successives ayant "neutralisé" une trentaine de djihadistes de la Katiba Serma. Cette organisation est affiliée au Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM, ou JNIM en arabe), une alliance djihadiste elle-même affiliée à Al-Qaïda.
Mais plusieurs témoignages d'habitants présents lors du bombardement affirment peu après, auprès de l'ONG Human Rights Watch (HRW), qu'une cérémonie de mariage avait lieu à ce moment-là. Ils assurent par ailleurs que les victimes n'étaient pas uniquement des membres de la Katiba Serma, mais principalement des civils invités à la cérémonie.
De leur côté, les autorités françaises ont toujours assuré qu'il n'y avait pas de mariage et que le renseignement avait "formellement" établi avoir affaire à un des nombreux rassemblements de djihadistes dans la région.
Que dit le rapport de l'ONU ?
Le document de l'ONU, rédigé à partir des investigations de la Division des droits de l'Homme de la Minusma, indique que c'est bien un groupe d'hommes réunis par un mariage près de la localité de Bounti qui a été atteint par une frappe aérienne de Barkhane le 3 janvier. Le groupe touché "était très majoritairement composé de civils, qui sont des personnes protégées contre les attaques au regard du droit international humanitaire", dit le texte.
Au terme de l'enquête, d'entretiens directs avec au moins 115 personnes, presqu'autant d'entretiens téléphoniques et un certain nombre d'entretiens de groupes, la Minusma "est en mesure de confirmer la tenue d'une célébration de mariage qui a rassemblé sur le lieu de la frappe une centaine de civils, parmi lesquels se trouvaient cinq personnes armées, membres présumés de la Katiba Serma", dit le résumé du rapport.
Cette frappe "soulève des préoccupations importantes quant au respect des principes de la conduite des hostilités, notamment le principe de précaution", selon le document. La Minusma recommande aux autorités maliennes et françaises de diligenter "une enquête indépendante, crédible et transparente". Elle préconise d'examiner les processus préalables aux frappes, voire de les modifier. Elle recommande aussi aux Français et aux Maliens de chercher à établir les responsabilités et d'octroyer le cas échéant une réparation aux victimes et à leurs proches.
Que répond la France ?
Le ministère français des Armées a de nouveau réfuté mardi avoir commis toute bavure au Mali en janvier et émis "de nombreuses réserves" sur l'enquête des Nations unies. Le ministère "maintient avec constance et réaffirme avec force" que "le 3 janvier, les forces armées françaises ont effectué une frappe aérienne ciblant un groupe armé terroriste identifié comme tel", souligne-t-il dans un communiqué.
Paris émet en outre "de nombreuses réserves quant à la méthodologie retenue" et "ne peut considérer que ce rapport apporte une quelconque preuve contredisant les faits tels que décrits par les forces armées françaises".
Cette enquête "oppose des témoignages locaux non vérifiables et des hypothèses non étayées à une méthode de renseignement robuste des armées françaises, encadrée par les exigences du droit international humanitaire", rétorque encore le ministère français des Armées. Ce dernier juge dans ce contexte "impossible de distinguer les sources crédibles des faux témoignages d'éventuels sympathisants terroristes ou d'individus sous influence (y compris la menace) des groupes djihadistes".