Leurs images font le tour du monde. Ces enfants de migrants, qui pleurent et s'accrochent à leurs parents dont les autorités américaines les séparent, déclenchent depuis plusieurs jours une polémique qui ne cesse d'enfler autour de la politique migratoire de l'administration Trump. Au point que, sous pression, et dans un revirement spectaculaire, le président américain a signé mercredi un décret mettant fin à la séparation des familles de migrants ayant franchi illégalement la frontière avec le Mexique.
En attendant, ce sont plus de 2.300 mineurs, venus d'Amérique du Sud, qui ont été arrachés des bras de leur père et de leur mère. Et ce, parce qu'ils ne peuvent être incarcérés dans le système pénitentiaire classique en cas de poursuites pénales, contrairement aux majeurs. La loi américaine l'interdit formellement. C'est d'ailleurs pour que les familles puissent rester ensemble que, jusqu'ici, dans la plupart des cas, les parents n'étaient poursuivis qu'au civil. Mais alors que, désormais, la politique de la "tolérance zéro" est appliquée scrupuleusement, et que les enfants sont séparés de leurs parents, qu'advient-il d'eux ?
Placés dans des centres de rétention. Les mineurs, qui viennent quasiment tous d'Amérique du Sud, deviennent alors "non accompagnés". Ils sont donc confiés à l'office de relocalisation des réfugiés, qui dépend du ministère de la Santé et des services sociaux. Et placés dans des centres de rétention dont on sait peu de choses. Des images et des enregistrements audio ont néanmoins été diffusés par plusieurs médias récemment. Dans un enregistrement rendu public mardi par le site ProPublica, on entend des pleurs d'enfants qui se heurtent à bien peu d'empathie de la part d'agents aux frontières. "Je veux aller avec ma tante", réclame un bambin, tandis que d'autres appellent "papa" ou "maman". "Et bien, on a un véritable orchestre ici", réagit un policier. "Tout ce qui manque, c'est un chef d'orchestre."
"Un refuge pour animaux". Des images d'un centre de détention à McAllen, dans l'Etat du Texas, ont profondément choqué l'opinion publique en montrant de petits espaces grillagés et des couvertures de survie posée sur le sol. Prises illégalement (car les médias n'ont pas eu le droit de filmer), ces bandes vidéo sont doublées de témoignages des reporters qui se sont rendus sur place. "Honnêtement, cela m'a fait l'effet d'aller dans un refuge pour animaux", explique ainsi Dianne Gallagher, correspondante pour CNN, au média en ligne Now This. "J'ai vu des tonnes d'enfants massés ensemble dans de grands enclos grillagés", s'est indigné de son côté Chris Van Hollen, un sénateur démocrate qui a lui aussi visité un centre, dimanche, au Texas.
'It reminded me of going into an animal shelter.' — Border Patrol is detaining children in cages. pic.twitter.com/l70JOQo1ks
— NowThis (@nowthisnews) 19 juin 2018
Alors que plus de 2.000 mineurs ont été séparés de leurs parents, ces centres de rétention sont désormais pleins à craquer. Et d'autres lieux d'hébergement devraient être ouverts, notamment des bases militaires et des "villes-tentes" que le gouvernement est en train de mettre sur pied. Selon MSNBC, jusqu'à 4.000 places pourraient ainsi être ouvertes.
Placés dans des familles. Mais les enfants ne peuvent indéfiniment rester dans ces abris précaires, tandis que leurs parents attendent les résultats de la justice pénale. Plusieurs options s'offrent alors aux mineurs. Ils peuvent être confiés à des proches qui résident déjà aux Etats-Unis s'ils en ont la possibilité. Si ce n'est pas le cas, ou en tout cas en attendant que des membres de leur famille puissent être localisés et contactés, des associations s'occupent de les reloger dans des foyers.
"Ils pleurent. Ils font des cauchemars".France 24 a ainsi pu joindre un couple, Coreen et Silas, qui accueillent des mineurs dans leur maison du Michigan via l'organisation Bethany Christian Services. La journée, les enfants suivent un programme éducatif. Le reste du temps, ils le passent chez cet homme et cette femme qui n'ont pas d'enfants et tentent, tant bien que mal, de leur donner l'illusion d'une famille. Cette solution, si elle reste privilégiée par les associations par rapport à un hébergement d'urgence, ne règle pas tout, loin de là. "Dans les premiers temps, ces petits sont très timides et ont l'air effrayés", témoigne ainsi Silas auprès de France 24. "Ils ne parlent pas. Il est clair qu'ils ne comprennent pas ce qu'il se passe, qui nous sommes, ni pourquoi ils sont là." Il n'est pas rare que les jeunes montrent des signes de traumatisme. "Ils ont très peur. Ils pleurent, surtout la nuit", confirme Coreen, leur mère de substitution. "Ils font des cauchemars. Ils n'arrivent pas à dormir."
Les parents ne savent pas ce qui arrive à leurs enfants, et vice-versa. Cela a des conséquences non négligeables sur la capacité de l'enfant à faire valoir la protection des Etats-Unis.
Des enfants "complètement dévastés". Katie Annand, une avocate qui travaille pour une association spécialisée dans l'accompagnement de ces mineurs migrants, ne dit pas autre chose dans un long témoignage publié par Vox. "Dire que [ces enfants] sont terrorisés et complètement dévastés est un euphémisme", écrit-elle. Difficultés scolaires, placement avec des membres de leur famille dont ils ne sont pas proches, impossibilité de recréer un véritable foyer… l'avocate pointe les multiples inconvénients de la séparation avec les parents, y compris dans la procédure de demande d'asile aux Etats-Unis. "Les cas des enfants sont complètement séparés de ceux des parents et on ne facilite que peu, voire pas du tout, la communication entre les deux", explique Katie Annand. "Les parents ne savent pas ce qui arrive à leurs enfants, et vice-versa. Cela a des conséquences non négligeables sur la capacité de l'enfant à faire valoir la protection des Etats-Unis."
Impossible de faire valoir la protection des Etats-Unis. "Bien souvent, les membres adultes de la famille ont des informations et des documents indispensables pour bâtir un dossier", poursuit l'avocate. "On voit des enfants qui peuvent ne pas savoir pourquoi ils sont venus aux Etats-Unis – les parents ou les tuteurs ne racontent souvent pas toute l'histoire aux enfants pour ne pas trop les traumatiser ou les effrayer. Les témoignages des membres de la famille sont cruciaux pour avancer vers une protection légale. Quand les enfants et les parents sont séparés, qui aide l'enfant à raconter son histoire ? Comment peuvent-il répondre aux questions quand tout ce à quoi ils peuvent penser est 'où est ma mère ?'"
L'objectif des associations reste avant tout de rendre les enfants à leurs parents au plus vite, qu'ils obtiennent ou non le droit de rester sur le territoire américain. Mais parfois, ces séparations s'annoncent très longues. L'association Bethany Christian Services interrogée par France 24 évalue ainsi à 5 (sur 99 mineurs pris en charge au total) le nombre d'enfants dont les parents restent introuvables.