C’était l’une des promesses de l’Union européenne après le naufrage qui a fait quelque 800 morts en Méditerranée, fin avril : organiser une opération pour "casser" l’activité des trafiquants qui exploitent la détresse de migrants prêts à tout pour rejoindre l’Europe. Lundi, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l’UE se sont mis d'accord sur le lancement de cette mission qui est pourtant loin de faire l'unanimité.
Détruire les bateaux des passeurs. Quelques jours après le naufrage qui a ému toute l’Europe, dans la nuit du 18 au 19 avril, les dirigeants européens, réunis en urgence, ont demandé une opération pour "capturer et détruire les embarcations" des passeurs. Cette opération est en train d’être mise sur pied. Le principe : s’attaquer aux bateaux utilisés par les passeurs armés pour tracter jusqu’en haut mer des embarcations de fortune sur lesquelles s’entassent des centaines de migrants, laissés à la dérive. Et faire en sorte que ces bateaux ne puissent pas être récupérés.
Pour cela, l’UE entend déployer des bâtiments militaires et des avions de surveillance au large de la Libye, devenue la principale plate-forme du trafic. Pas question en revanche de mener des opérations militaires sur le sol libyen. La France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont déjà promis de fournir des navires pour ce projet baptisé EU NavFor Med, dont le quartier général devrait être basé à Rome. C’est l’amiral italien Enrico Credendino qui devrait la commander. Quant à la Pologne et la Slovénie, elles envisageraient de fournir des avions ou des hélicoptères.
Une résolution à l’ONU. Dans un premier temps, la surveillance accrue des côtes et l’arraisonnement de navires sans pavillon dans les eaux internationales pourra commencer sans base juridique internationale. Pour le reste de l’opération, l’UE devra toutefois obtenir l’accord des Nations unies, via une résolution au Conseil de sécurité.
D’abord réticente, la Russie semble désormais prête à soutenir un texte qui ne mentionnerait pas spécifiquement la destruction des navires. Pour Federica Mogherini, chef de la diplomatie européenne, il n’existe donc pas de "résistance politique majeure" à cette résolution, qui pourrait être adoptée avant la fin de la semaine. Quant à l’opération en elle-même, elle ne devrait être lancée qu’en juin.
Un projet critiqué. Mais ce projet ne satisfait pas tout le monde. Plusieurs inconnues demeurent, notamment à propos de la désignation du pays d’accueil des migrants qui seront secourus par les marins. Les associations, comme l’Organisation internationale pour les migrations, sont sceptiques et elles ne sont pas les seules.
Peter Sutherland, envoyé spécial de l’ONU sur les migrations et ex-commissaire européen, craint quant à lui que des "réfugiés innocents" se retrouvent en première ligne, selon le site EU Observer. Ce média cite aussi un document des services européens, dans lequel la question des "dommages collatéraux" est évoquée. Le document s’inquiète aussi de la possible "réaction négative" des populations locales face à l’opération européenne. Mais les sceptiques redoutent surtout que cette opération pousse les passeurs à emprunter d’autres routes, ce qui augmenterait encore les risques pour les migrants. Le changement serait déjà à l’œuvre, note Fabrice Leggeri, le patron de Frontex. Dans une interview à Associated Press, il expliquait à la mi-mai que son agence, chargée de la surveillance des frontières, constatait déjà un basculement des routes des passeurs vers la partie est de la Méditerranée.