Bruxelles met en cause les "réseaux criminels" de passeurs, mais le dernier naufrage d'un bateau de migrants au large de la Grèce, l'un des pires de ces dernières années en Méditerranée, fait aussi resurgir des critiques à l'encontre d'une "Europe forteresse". Exprimant, comme la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, "sa profonde tristesse" face à ce drame, le président du Conseil européen Charles Michel a dénoncé le "business sans scrupules des trafiquants" et promis de mettre le sujet à l'ordre du jour du prochain sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, le 29-30 juin à Bruxelles.
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Plus d'efforts pour lutter contre ces "réseaux criminels"
La commissaire européenne chargée des Affaires intérieures Ylva Johansson a appelé à "redoubler d'efforts" pour lutter contre ces "réseaux criminels", en coopération avec les pays de départ des migrants. Elle a aussi souligné la nécessité pour l'UE "d'investir dans des voies légales" de migration. Ce nouveau drame, qui pourrait avoir fait des centaines de morts, intervient quelques jours après un accord entre ministres de l'UE sur une réforme du système d'asile, prévoyant notamment la création de centres aux frontières extérieures du bloc pour renvoyer plus facilement vers des pays tiers "sûrs" les migrants se voyant refuser l'asile.
"Cet horrible naufrage doit être un appel à l'action", a lancé Eftychia Georgiadi, directrice des programmes de l'International Rescue Committee (IRC) en Grèce, dénonçant "l'échec de l'UE à développer des voies légales de migration", qui "ferme la porte aux personnes en quête de protection".
Ces naufrages sont "les effets des mesures et des actions" mises en place depuis 2015
Pour Yves Pascouau, expert en questions migratoires, ces naufrages sont "les effets des mesures et des actions" qui sont mises en place depuis la crise migratoire de 2015-2016, et la "construction d'un espace protégé du reste du monde". Les Etats de l'UE se sont focalisés sur "le contrôle des frontières extérieures, avec notamment un renforcement des moyens alloués à l'agence Frontex", et sur "l'éloignement des personnes en situation irrégulière", explique-t-il à l'AFP. Dire "il faut ouvrir les canaux d'immigration légale, très bien. Mais aujourd'hui les Etats ne discutent pas de cette question-là ensemble. Et donc c'est un peu des incantations, la méthode Coué", juge-t-il.
La Commission européenne a présenté en septembre 2020 un Pacte sur la migration et l'asile, un paquet de réformes qu'elle espère voir adopté d'ici le printemps 2024, qui porte notamment sur une solidarité "obligatoire" mais flexible entre pays membres dans la prise en charge des demandeurs d'asile et un renforcement des frontières extérieures. Elle met aussi en place des plans d'action sur les principales routes migratoires (Méditerranée centrale, occidentale, route des Balkans), prévoyant des accords avec les pays d'origine et de transit pour empêcher les départs et favoriser les renvois de migrants en situation irrégulière vers ces pays.
"Cette tragédie n'est pas une surprise"
"La Commission européenne et les pays de l'UE continuent de conclure des accords avec des pays aux antécédents douteux en matière de droits de l'homme", a dénoncé Stephanie Pope, experte des questions migratoires à Oxfam. Elle a critiqué la politique de l'UE visant à lier la coopération en matière migratoire aux questions d'aide au développement, de commerce et de visas. "Cette tragédie n'est pas une surprise. Ce n'est pas la première fois, et ce ne sera pas la dernière. L'accord de la semaine dernière entre les Etats membres de l'UE ne va pas résoudre cela non plus, cela favorisera encore les refoulements", a encore estimé Stephanie Pope.
L'eurodéputée néerlandaise Tineke Strik (Verts) a quant à elle appelé l'UE à mettre en place "une mission commune de recherche et sauvetage en Méditerranée pour garantir des capacités suffisantes et des secours immédiats". Par ailleurs, le rôle de Frontex dans ce drame a suscité des interrogations. Un avion de cette agence de l'UE a repéré mardi le bateau de migrants surchargé mais selon les autorités portuaires grecques, il n'est pas intervenu car les passagers ont "refusé toute aide". "On ne demande pas aux personnes à bord d'un bateau à la dérive s'ils veulent de l'aide (...), il aurait fallu une aide imminente", a affirmé Nikos Spanos, expert international des incidents maritimes, sur la chaîne publique ERT.