Le procès du scandale dit des "Luxleaks" qui a éclaté en 2014 s'ouvre mardi devant la justice du Luxembourg, avec la comparution de trois hommes accusés d'avoir fait fuiter des milliers de pages mettant en lumière les pratiques d'évasion fiscale de grandes multinationales établies au Grand-duché. Le lanceur d'alerte Antoine Deltour est accusé d'avoir organisé la fuite de documents fiscaux du cabinet d'audit PricewaterhouseCoopers (PwC) à Luxembourg, pour lequel il travaillait. Il encourt jusqu'à 10 ans de prison.
Un journaliste de Cash Investigation parmi les accusés. Il doit comparaître devant le tribunal correctionnel de Luxembourg aux côtés du journaliste français Edouard Perrin, qui a révélé le scandale, et d'un autre ancien employé de PwC, Raphaël Halet, à l'origine d'une seconde fuite de documents. Le cabinet d'audit est partie civile au procès. Le scandale avait éclaté en novembre 2014, dévoilant au grand jour les pratiques de firmes comme Apple, Ikea et Pepsi pour économiser des milliards de dollars d'impôts à l'époque où le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker était Premier ministre du Luxembourg (1995-2013). Le procès, qui doit durer jusqu'au 4 mai et sera suivi de près par les ONG anti-corruption, tombe mal pour ce petit Etat de l'UE qui peine à se départir de son image de havre fiscal pour les entreprises, sur fond de forte sensibilisation de l'opinion à ces sujets en plein scandale des "Panama papers". Antoine Deltour et Raphaël Halet sont prévenus de vol domestique, de divulgation de secrets d'affaires, de violation de secret professionnel et de blanchiment.
Une sconde fuite de documents. Edouard Perrin a été inculpé en avril 2015 par la juge d'instruction luxembourgeoise Martine Kraus pour complicité de vol domestique, violation du secret professionnel, violation de secrets d'affaires, blanchiment. Il lui est reproché notamment d'avoir manipulé Raphaël Halet pour organiser la seconde fuite de documents et d'avoir joué un rôle "actif dans la commission de ces infractions". Le journaliste avait révélé le scandale en mai 2012 dans l'émission "Cash Investigation" sur la chaîne publique française France 2.
"J'ai agi dans l'intérêt général". Au final, des milliers de pages confidentielles sur les pratiques d'optimisation fiscale des multinationales installées au Luxembourg avaient été divulguées. Ces documents concernaient des "rescrits fiscaux" accordés par l'administration des impôts et négociés par la firme PwC pour le compte de ses clients. Les documents ont d'abord été utilisés par Edouard Perrin pour son enquête à "Cash Investigation" avant d'être publiés par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) en novembre 2014, au moment de la prise de fonction de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne. Antoine Deltour avait eu accès à ces pièces sur la banque de données de son employeur et les avait copiées avant son départ de l'entreprise en 2010. Il n'a jamais regretté son geste, malgré la peine encourue de 5 à 10 ans de prison. "Je ne comprends pas comment je pourrais être victime d'une lourde peine lorsque j'ai agi dans l'intérêt général", a-t-il expliqué dans une interview.
Un appel à manifesté à l'ouverture du procès. Une enquête avait été ouverte à Luxembourg après la plainte déposée en juin 2012 par PwC à la suite de la diffusion de l'enquête de France 2. Elle avait rebondi en 2014 après la publication des documents par l'ICIJ (également à l'origine des révélations sur les "Panama Papers" ce mois-ci). PwC avait identifié une seconde fuite et son enquête interne avait permis de remonter jusqu'à un de ses employés du service documentation, accusé d'avoir fourni des informations au journaliste français Edouard Perrin. L'agence Premières Lignes, employeur d'Edouard Perrin, l'avait défendu en qualifiant son travail de "légitime" et en rappelant "que le secret absolu des sources de nos enquêtes doit demeurer un principe, le socle du travail de tous les journalistes". Plusieurs appels à manifester mardi matin devant le tribunal ont été lancés, notamment par un collectif d'une vingtaine d'ONG et syndicats français baptisé "Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires", et épaulé par le journaliste Denis Robert rendu célèbre dans les années 2000 par ses révélations sur le scandale "Clearstream" qui avait également son origine au Luxembourg.