Le Guyana avait tenté, en vain, de faire annuler le vote, évoquant une "menace existentielle". Mais les Vénézuéliens se sont bel et bien présentés aux urnes ce dimanche 3 décembre. Invités à se prononcer, à l'occasion d'un référendum consultatif autour de l'avenir de l'Essequibo, une région appartenant au Guyana, les habitants ont voté à 95% en faveur d'une intégration de cette province à leur pays. Cette dernière suscite les convoitises de Caracas depuis de nombreuses années et encore un peu plus depuis 2015.
Il y a huit ans, la compagnie pétrolière américaine ExxonMobil révélait la présence d'un immense gisement de pétrole brut au large de la région disputée. Auquel il faut ajouter la découverte d'or noir supplémentaire en octobre dernier, délivrant au Guyana un statut de "nouvel émirat" de l'avis de nombreux experts. Récemment, Georgetown a même lancé des appels d'offre pour exploiter la précieuse ressource dans l'espace maritime de l'Essequibo. De quoi raviver un contentieux bien antérieur aux questions pétrolières.
Quand la couronne britannique profite du désordre régional
Pour en comprendre les origines, il faut remonter au XIXe siècle, lorsque l'Essequibo, qui recouvre aujourd'hui les deux tiers du Guyana, appartenait bel et bien au Venezuela, tout fraîchement indépendant du royaume espagnol, tandis que le Guyana faisait partie de l'empire colonial britannique qui a su exploiter, à son profit, l'instabilité d'une région où l'indépendance est une réalité nouvelle.
"À cette époque, il était difficile de savoir où se trouvaient précisément les frontières des territoires amazoniens. Par conséquent, les Britanniques se sont clairement appropriés cette partie du territoire (l'Essequibo) et ont déclaré qu'elle faisait partie de leur propre colonie, en l'occurrence le Guyana", rembobine Christophe Ventura, directeur de recherche à l'Iris et spécialiste de l'Amérique latine.
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En 1889, à une époque où le droit international n'existe pas, un arbitrage est rendu et confirme la souveraineté du Guyana sur l'Essequibo. Un juriste américain révèlera bien plus tard, dans un témoignage post-mortem en 1949, les pressions subies par les juges et exercées par le camp britannique. "Tout cela aboutit aux accords de Genève en 1966, moment où le Guyana devient indépendant", développe Christophe Ventura.
Un système, toujours en vigueur aujourd'hui, émerge alors. "Le Venezuela reconnaît l'existence du Guyana et, dans le même temps, maintient la réclamation de l'Essequibo. Et le Guyana reconnaît au Venezuela le droit de pouvoir réclamer cette zone". Prévaut alors un maintien du statu quo destiné à éviter une annexion par la force de l'Essequibo par Caracas.
Un référendum qui profite à Maduro
Un équilibre précaire qui vacille depuis la découverte de ce gisement pétrolier par une entreprise américaine, les États-Unis figurant parmi les adversaires géopolitiques de la République bolivarienne du Venezuela. Un regain de tension qui s'est donc manifesté par l'organisation de ce référendum dimanche 3 décembre, faisant craindre une potentielle escalade. Au point de déboucher sur un conflit armé ?
"Je ne pense pas que l'hypothèse militaire soit la plus sérieuse", répond Christophe Ventura, évoquant une armée vénézuélienne en petite forme, "qui a rarement combattu dans son histoire", et un État vénézuélien en proie à une grave crise économique, vraisemblablement incompatible avec le déclenchement de grandes manœuvres militaires. Ce dimanche, le président guyanien Irfaan Ali a assuré à ses compatriotes qu'"il n'y a rien à craindre dans les heures, les jours et les mois à venir".
"Je pense que la stratégie de fond est de faire monter les enchères très haut, de faire parfois monter la tension pour arriver sur une négociation entre le Venezuela et le Guyana", décrypte Christophe Ventura. On peut imaginer un bénéfice partagé ou une répartition des richesses, notamment minières et pétrolières, qui sont sur ce territoire." En revanche, l'organisation d'un tel référendum s'avère hautement profitable pour le président vénézuélien Nicolas Maduro, assure le spécialiste. "Cela lui permet d'éclipser l'actualité politique du pays, en l'occurrence une primaire de l'opposition qui a mobilisé 2,5 millions de personnes et désigné une candidate très dangereuse pour lui, Maria Corina Machado".
Mais aussi de placer l'opposition dans une posture inconfortable. "Dans la société vénézuélienne, le consensus est écrasant sur le fait que l'Essequibo est vénézuélien, indépendamment des partis politiques. Donc il est très difficile pour les opposants à Maduro de dire qu'ils sont contre la zone en réclamation. Il a lancé un sujet qui lui permet de récupérer l'agenda politique".