Le placement en détention et la dissolution lundi du parti de l'opposant Ousmane Sonko, candidat à la présidentielle de 2024, ont laissé sous le choc mardi de nombreux Sénégalais qui y voient l'élimination définitive du porte-voix d'une partie la jeunesse. "Je suis dégoûté. Regarde mes mains (entaillées). Je suis sorti hier (lundi) pour manifester mais il n'y avait personne dehors. Je n'ai plus d'espoir", confie Thierno Mbaye, un jeune supporter d'Ousmane Sonko, désabusé.
Lundi soir, des manifestations spontanées ont éclaté après l'annonce du placement en détention pour divers crimes dont l'appel à l'insurrection d'Ousmane Sonko, porteur d'un programme "antisystème" prônant notamment un rééquilibrage des rapports avec les pays européens, dont l'ancienne puissance coloniale française. Elles ont opposé des groupes de jeunes aux forces de sécurité. Les affrontements ont fait deux morts dans le sud à Ziguinchor, le bastion d'Ousmane Sonko. Un autre mort a été recensé par la presse locale dans des affrontements à Pikine, dans la banlieue de Dakar.
Le parti politique de Sonko, dissous
Outre la défense de leur leader, les partisans d'Ousmane Sonko ont dénoncé la dissolution lundi par les autorités du Pastef, le parti politique de leur leader, un fait rarissime dans l'histoire du Sénégal. Selon les médias locaux, il est au moins la troisième formation à connaitre un pareil sort, après le Parti africain de l'indépendance (PAI) dissous en 1961 et le Bloc des masses sénégalais (BMS) de l'ancien historien Cheikh Anta Diop en 1966, sous le régime du président Léopold Sédar Senghor.
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Mais le soulèvement populaire appelé par le parti d'Ousmane Sonko est pour l'heure d'ampleur bien moindre que celui de début juin, qui s'était transformé en émeutes après la condamnation de l'opposant à deux ans de prison ferme dans une affaire de mœurs. Ces troubles avaient été les plus graves depuis des années dans le pays, faisant 16 morts officiellement, une trentaine selon l'opposition.
Avec cette troisième procédure qui s'ajoute à deux autres condamnations, l'homme politique arrivé troisième à la présidentielle de 2019 risque, selon des juristes, cinq à 20 ans de prison. La détention d'Ousmane Sonko "pourrait sonner le glas de ses ambitions présidentielles. Non seulement, il pourrait perdre son éligibilité électorale, mais aussi se trouver encore en prison lors de la campagne électorale", écrit le journaliste Momar Dieng dans un texte publié sur Twitter, rebaptisé X.
Une stabilité "compromise" au Sénégal
"C'est impossible qu'Ousmane Sonko se présente à l'élection présidentielle. Le Pastef n'a pas les moyens politiques d'instaurer un rapport de force favorable" à une candidature d'Ousmane Sonko, a affirmé à l'AFP l'anthropologue et analyste politique Abdou Ndukur Kacc Ndao. Ce dernier dit craindre "une grande chasse" aux responsables de la formation qui compte plusieurs élus à l'Assemblée nationale et dans des exécutifs locaux. Mardi, la vie semblait poursuivre son cours normal dans la capitale sénégalaise Dakar. Mais pour de nombreux Sénégalais, le réveil a été "difficile" et "amer" après la chute brutale de leur leader.
La "stabilité (du Sénégal) est désormais compromise, car le peuple n'acceptera jamais cette ultime forfaiture", a affirmé par communiqué le parti de Sonko, en réaction à sa dissolution. Les déclarations publiques de responsables du Pastef se faisaient toujours attendre mardi après-midi. "Si le peuple sénégalais, pour qui je me suis toujours battu, abdique et décide de me laisser entre les mains du régime de Macky Sall, je me soumettrai comme toujours à la volonté divine", a semblé se résigner Ousmane Sonko dans un message sur les réseaux sociaux lundi après-midi.
Macky Sall accusé de monter des affaires judiciaires de toutes pièces
L'opposant avait pourtant martelé ces derniers mois que personne ne pourrait l'empêcher de se présenter à la présidentielle, promettant à défaut d'installer "le chaos" dans le pays. Il a accusé le président Macky Sall de monter des affaires judiciaires de toutes pièces pour l'écarter du scrutin de 2024. Macky Sall, élu en 2012 pour sept ans et réélu en 2019 pour cinq ans, a annoncé le 3 juillet qu'il ne serait pas candidat, après avoir longtemps entretenu le flou.
L'arrestation d'Ousmane Sonko laisse un grand vide dans son parti déjà affaibli ces derniers mois par des centaines d'arrestations dans ses rangs dont de hauts responsables toujours en prison. Des fissures sont également apparues dans sa coalition après les conclusions d'un dialogue politique fin mai, boycotté par le Pastef. "C'est le moment pour ceux qui le soutenaient de se réadapter en choisissant d'autres personnalités pouvant porter ce projet", affirme Thierno Souleymane Diop Niang, chercheur en sciences politiques.