Depuis vendredi, Israël ne décolère pas. La chambre basse du Parlement polonais a en effet adopté une loi liée à la Shoah ("catastrophe" en hébreu). Israël n'y voit rien moins qu'une tentative de "changer l'histoire" et a convoqué dimanche un haut diplomate polonais afin d'obtenir un éclaircissement. Décryptage.
Que dit le texte de loi polonais ?
Vendredi, les députés polonais ont adopté une loi traitant de la Shoah qui sanctionne l'emploi du terme "camps de la mort polonais". Elle prévoit une peine pouvant aller jusqu'à trois ans de prison pour les Polonais et les étrangers qui utiliseraient ce terme pour qualifier les camps d'extermination. Ces derniers ont été installés en Pologne par les nazis lors de leur occupation du pays durant la Seconde Guerre mondiale.
Le texte comprend aussi un article qui prévoit des poursuites contre toute personne qui "attribue à la nation ou à l'État polonais la responsabilité ou la co-responsabilité des crimes commis par le 3ème Reich allemand - ou tout autre crime contre l'humanité (…) ou crime de guerre".
Adoptée vendredi par les députés polonais, la loi doit désormais être votée au Sénat puis promulguée par le président Andrzej Duda pour entrer en vigueur.
Quelle a été la réaction d'Israël ?
"Ferme opposition à la loi". Dès samedi, Israël a accusé la Pologne de vouloir "changer l'histoire". Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a donné instruction à l'ambassadrice d'Israël à Varsovie de rencontrer le Premier ministre polonais dès samedi soir "pour lui exprimer (s)a ferme opposition à cette loi", selon un communiqué de ses services.
Cette friction entre les deux pays tombe au plus mal. Samedi avait en effet lieu le 73ème anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, qui coïncide avec la journée internationale à la mémoire des victimes de l'Holocauste.
Aux yeux de l'État hébreu, le texte de loi est une révision malhonnête de l'histoire car il nie la participation de la Pologne au processus d'extermination alors mis en place par l'Allemagne. "Cette loi est sans fondement. On ne peut pas changer l'Histoire et l'Holocauste ne peut pas être nié", a proclamé le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou.
"Liberté de recherche". Le ministère des Affaires étrangères, aussi occupé par Benjamin Netanyahou, a estimé dans un communiqué publié dimanche que "le projet de loi n'aidera pas à établir la vérité historique et pourrait nuire à la liberté de la recherche, tout en empêchant la discussion sur le message historique et l'héritage de la Seconde Guerre mondiale", indique le communiqué. "Nous attendons du gouvernement polonais qu'il modifie le libellé du projet de loi avant son adoption finale et qu'il mène un dialogue avec Israël sur ce sujet", a demandé le ministère.
Varsovie fait baisser la tension. Le dialogue semble avoir porté ses fruits quand Benjamin Netanyahou s'est entretenu dimanche en fin de soirée avec son homologue polonais Mateusz Morawiecki. Les deux hommes "se sont mis d'accord pour ouvrir dès à présent des discussions entre des équipes des deux pays afin d'essayer de trouver un accord sur cette législation." Et le président polonais, Andrzej Duda, a à son tour chercher à apaiser le climat en promettant dimanche d'examiner les passages de la loi qui fâchent Tel-Aviv.
Et à l'ambassadrice d'Israël à Varsovie, Anna Azari, qui a évoqué la possibilité que la loi polonaise permette de poursuivre en justice des survivants des camps qui témoigneraient de la participation de Polonais à des crimes de guerre, Andrzej Duda a là aussi fait baisser la tension : il a assuré que "toute personne dont les souvenirs personnels ou la recherche historique exprime la vérité sur des crimes ou des comportements honteux survenus dans le passé avec la participation de Polonais, a pleinement le droit à cette vérité".
En Pologne, six camps d'extermination nazis mais pas de collaboration officielle
L'Allemagne, seule et unique responsable ? L'expression "camps de la mort polonais" donne, selon la Pologne, la fausse impression que leur pays serait responsable de l'extermination de six millions de juifs pendant la Seconde guerre mondiale. Or, selon Varsovie, l'Allemagne d'Adolf Hitler est la seule et unique responsable de l'industrie de mort mise en place dans ses camps d'extermination.
C'est en tout cas ce que le Premier ministre polonais a souligné sur Twitter dimanche : "Auschwitz-Birkenau n'est pas un nom polonais, et Arbeit Macht Frei ("le travail rend libre", enseigne située à l'entrée du camp d'Auschwitz, ndlr) n'est pas une expression polonaise". Mais qu'en est-il réellement ?
L'invasion de la Pologne par l'Allemagne nazie, le 1er septembre 1939, marqua le début officiel de la Seconde guerre mondiale. Et c'est dans ce pays que Berlin décida de développer sa politique d'extermination des populations que les nazis jugeaient indésirables comme les juifs ou les tziganes. Les raisons en sont simples. Les nazis voulaient cacher aux Allemands leur industrie de la mort. C'est pour cette raison qu'en Allemagne seront construits des camps de concentration uniquement. De plus, la majorité des juifs arrêtés l'ont été en Europe de l'est où se trouvent les plus grosses communautés (3 millions rien qu'en Pologne, 2,5 millions en URSS, 800.000 en Roumanie), d'où la logique nazie d'installer leurs camps d'extermination en Pologne.
Le premier d'entre eux, Chelmno, a ouvert dès décembre 1941, 150.000 personnes y ont été tués dans des chambres à gaz mobiles. À partir de 1942, le rythme s’est accéléré : Belzec (500.000 morts), Sobibor (250.000 morts), Treblinka (850.000 morts), Auschwitz-Birkenau (1.100.000 morts). Le camp de Maïdanek, enfin, d'abord camp de prisonniers, puis camp de concentration, a lui aussi été transformé en camp d'extermination et 80.000 personnes y ont trouvé la mort.
Un gouvernement polonais en exil pendant la guerre. Contrairement à la France, dont le régime de Vichy a décidé de collaborer officiellement avec l'Allemagne dans sa politique de traque des juifs, le gouvernement polonais, lui, a choisi l'exil pour continuer le combat. D'abord réfugié en France, il s'est installé à Londres quand les nazis ont envahi l'Hexagone. Et alors que, côté français, le général de Gaulle, lui aussi réfugié en Angleterre, peinait à se faire reconnaître comme représentant de la France, les responsables polonais, eux, ont été plus rapidement reconnus par les forces alliées comme étant le gouvernement officiel de la Pologne. Ses membres sont alors à la pointe du combat contre l'extermination des juifs : ils sont les premiers dès 1942 à diffuser des informations sur l'existence de camps d'extermination et ils ont été les seuls responsables politiques pendant la Seconde guerre mondiale à mettre en place une cellule de résistance en Pologne, destinée uniquement à venir en aide aux juifs.
Cet exil n'a évidemment pas empêché des collaborations locales et individuelles. Des survivants des camps de la mort ont d'ailleurs raconté récemment au journal israélien Yedioth Ahronoth comment certains Polonais ont refusé de les aider ou les dénonçaient même aux autorités allemandes.
"Interprétation erronée de l'histoire". Yad Vashem, mémorial de la Shoah à Jérusalem qui est aussi un Institut de recherche, a critiqué le texte de loi polonais mais de manière nuancée. "Cette loi est susceptible de brouiller la vérité historique concernant l'assistance que les Allemands ont reçue de la part de la population polonaise durant l'Holocauste", a souligné dans un communiqué cette institution, qui a toutefois reconnu "qu'il ne fait aucun doute que le terme 'camps de la mort polonais' constitue une interprétation erronée de l'histoire".
Toujours selon Yad Vashem, entre 30.000 et 35.000 juifs, soit environ 1% de la communauté juive de Pologne, ont été sauvés grâce à l'aide de Polonais. Plus de 6.700 Polonais, soit le contingent le plus important d'un pays, ont été qualifiés de "Justes parmi les Nations".