Le 24 mars, Donald Trump avait crié victoire. Le rapport du procureur spécial Robert Mueller, rendu deux jours plus tôt au ministère de la Justice, concluait finalement à l'absence d'éléments prouvant une collusion entre son équipe de campagne en 2016 et le pouvoir russe. Et ne procédait à aucune nouvelle inculpation. Au terme de deux ans d'enquête, le président américain se félicitait donc d'une "disculpation complète et totale".
Jeudi, lorsque le rapport a été publié dans sa quasi intégralité, le milliardaire a une nouvelle fois exulté, en images cette fois, parodiant sur Twitter une affiche de la série Game of Thrones pour narguer ses adversaires politiques et les "rageux" (sic).
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 18 avril 2019
Pourtant, à y regarder de plus près, cette version de 448 pages amputées de quelques passages comportant des données confidentielles, révèle plus de choses embarrassantes que ne le laisse penser le fil Twitter de Donald Trump.
Des rencontres entre l'équipe de Trump et la Russie
C'était déjà connu dès le mois de mars : l'équipe de campagne de Donald Trump a bel et bien eu des contacts avec la Russie. La publication du rapport a permis d'en savoir un peu plus, notamment sur leur fréquence. En 2015, au printemps 2016, en juin 2016 puis de nouveau pendant l'été, et même après l'élection, les Russes ont interagi avec l'entourage du président américain. Le second a notamment appris que les premiers possédaient des informations compromettantes sur sa rivale, Hillary Clinton. Par ailleurs, le pouvoir russe a activement œuvré pour déstabiliser les élections américaines.
"L'enquête a établi que le gouvernement russe considérait qu'une présidence Trump lui servirait et a agi pour garantir [son élection]", écrit le procureur Mueller. De son côté, l'équipe de campagne du candidat républicain "s'attendait à tirer un bénéfice électoral des informations volées et communiquée grâce aux Russes". En dépit de cela, "l'enquête n'a pas établi que les membres de la campagne de Trump ont conspiré ou se sont coordonné avec le gouvernement russe". Autrement dit, en dépit de nombreux indices, Mueller n'a pas réussi à apporter de preuve indéboulonnable d'entente entre le candidat victorieux et le Kremlin. Le procureur précise d'ailleurs page 185 avoir envisagé de poursuivre des membres de son équipe pour une entrevue avec les Russes au mois de juin 2016, avant d'y renoncer faute d'éléments suffisants pour aller au-delà du sacro-saint "doute raisonnable" qui prévaut en matière judiciaire.
L'attitude du président à l'annonce de l'enquête…
Dans son rapport, Robert Mueller décrit une scène lourde, si ce n'est de preuves, du moins de symboles. Lorsque son ministre de la Justice de l'époque, Jeff Sessions, a appris à Donald Trump la nomination du procureur spécial en mai 2017, le président a très mal réagi. Il "s'est écroulé dans son fauteuil", selon le document publié jeudi, avant de s'exclamer : "Oh mon Dieu, c'est terrible, c'est la fin de ma présidence. Je suis foutu ['I'm fucked']."
Donald Trump s'en est ensuite pris à Jeff Sessions lui-même, lui reprochant de ne pas l'avoir "protégé". "Comment t'as pu laisser faire ça ?" Dès le mois de juin, le président a donc tout fait pour limoger Mueller. Selon le rapport, il a "ordonné" au chef des services juridiques de la Maison-Blanche d'accuser le procureur de "conflits d'intérêt" et de demander sa "révocation".
…et ses efforts pour la bloquer
Ce n'est pas le seul élément donné par Robert Mueller pour démontrer que Donald Trump et son entourage ont déployé des efforts dantesques pour lui mettre des bâtons dans les roues. Le procureur décrit au fil des pages le manque de coopération et les faux témoignages, comme celui de George Papadopoulos, ancien conseiller du président, qui a expliqué ne pas encore être membre de son équipe de campagne lorsqu'il avait appris que la Russie détenait des informations compromettantes sur Hillary Clinton. "Ce récit était faux", tranche le rapport Mueller. Et il y en a eu bien d'autres de la part de Michael Flynn, conseiller à la sécurité nationale du président, de Paul Manafort, ex-directeur de campagne, ou encore de son ancien avocat Michael Cohen.
Faisant un subtil usage de la forme négative, Robert Mueller écrit donc : "Si nous étions sûrs, après une enquête rigoureuse, que le président n'a clairement pas commis d'entrave à la justice, nous le dirions. Sur la base des faits et des standards légaux applicables, nous ne sommes pas en mesure de prononcer ce jugement." Autrement dit, impossible d'exonérer Donald Trump de soupçons d'obstruction.
"Tout est si détaillé qu'il est difficile de ne pas tirer la conclusion que Mueller aurait pu inculper et faire condamner Trump pour obstruction, s'il avait eu la permission de le faire", écrit Renato Mariotti, éditorialiste juridique, dans les colonnes de Politico. "Et s'il ne l'a pas, [c'est parce que la Justice] interdit l'inculpation d'un président en exercice."
La balle dans le camp du Congrès
En revanche, rien n'empêche le Congrès de se saisir de cette question. Ce qu'écrit d'ailleurs noir sur blanc Robert Mueller : "La conclusion selon laquelle le Congrès peut appliquer les lois sur l'obstruction dans le cas d'un exercice corrompu du pouvoir par le président s'accorde avec notre système constitutionnel […] et le principe que nul n'est au-dessus de la loi."
Reste donc à savoir si et comment l'opposition démocrate va s'en saisir, alors qu'elle a la majorité à la Chambre des représentants mais pas au Sénat. Pour l'instant, les démocrates ont demandé au procureur Mueller de témoigner à la Chambre des représentants d'ici au 23 mai.