Le président russe Vladimir Poutine a annoncé mercredi que la Russie n'acceptera plus de paiements en dollars ou en euros pour les livraisons de gaz à l'UE, donnant une semaine aux autorités russes pour élaborer un nouveau système en roubles. "J'ai pris la décision de mettre en œuvre un ensemble de mesures pour passer au paiement en roubles de notre gaz livré aux pays hostiles, et de renoncer dans tous les règlements aux devises qui ont été compromises", a dit le président russe lors d'une réunion gouvernementale, expliquant qu'il s'agissait d'une réaction au gel des actifs de la Russie en Occident à cause de son offensive en Ukraine.
La banque centrale russe va établir le nouveau système d'ici à une semaine
Vladimir Poutine a demandé à la banque centrale et au gouvernement d'établir "dans un délai d'une semaine" le nouveau système qui doit être "clair, transparent" et implique "l'acquisition de roubles sur le marché" russe des changes. Cette annonce a eu un effet immédiat sur la devise russe, qui s'est renforcée face à l'euro et au dollar, alors qu'elle s'était écroulée dès le 24 février et l'entrée des forces russes en Ukraine. La présidence ukrainienne a rapidement dénoncé "une guerre économique" menée par Moscou pour "renforcer le rouble".
"Mais l'Occident pourrait frapper la Russie avec un embargo pétrolier qui ferait plonger l'économie russe", a mis en garde sur Telegram Andriï Iermak, chef du cabinet du président Volodymyr Zelensky. "Ce sera désormais une bataille économique clé, et l'Occident doit la gagner collectivement".
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D'autres exportations russes pourraient être concernées
Vladimir Poutine a par ailleurs laissé entendre que d'autres exportations russes seraient concernées, les Occidentaux ayant gelé quelque 300 milliards de dollars de réserves russes détenues à l'étranger, mesure que le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a qualifié de "vol" mercredi. "Il est clair que livrer nos marchandises à l'UE, aux États-Unis, et recevoir des dollars, des euros, d'autres devises, ne fait plus aucun sens pour nous", a dit Vladimir Poutine.
Pour le moment, les hydrocarbures russes ont été largement épargnés des lourdes sanctions occidentales contre la Russie. Certes, Washington a décrété un embargo sur le gaz et le pétrole russe. Mais ces derniers continuent de couler à flot vers l'Europe, très dépendante des hydrocarbures russes et premier marché pour Moscou. Mais l'Union européenne réfléchit désormais elle aussi à un embargo sur le pétrole russe.
La Russie prône depuis des années la dédollarisation de son économie
Plusieurs sommets internationaux déterminants sont attendus qui laissent présager de nouvelles sanctions occidentales. Moscou prône pour sa part depuis des années la dédollarisation de son économie, afin de réduire sa vulnérabilité aux sanctions. En mars 2019, le géant gazier public russe Gazprom a ainsi annoncé sa première vente de gaz en roubles à une entreprise européenne.
"Il est absolument évident que sans les hydrocarbures russes, si des sanctions sont imposées, les marchés du gaz et du pétrole s'effondreront. La hausse des prix des ressources énergétiques peut être imprévisible", a déclaré mercredi Alexandre Novak, vice-Premier ministre chargé de l'Énergie.
L'Ukraine dénonce "une guerre économique"
Après l'annonce de Vladimir Poutine, Alexandre Novak a affirmé que "nous devons passer plus activement au commerce des monnaies nationales" jugées "plus fiables" que dollars et euros. C'est "une décision historique (...) Un pas vers la dédollarisation de notre économie", a salué Viatcheslav Volodine, président de la Douma, chambre basse du Parlement.
La présidence ukrainienne a elle rapidement dénoncé "une guerre économique" menée par Moscou pour "renforcer le rouble", tout en appelant à un embargo pétrolier européen. Cette décision va-t-elle soutenir le rouble à long terme ? "Comme c'est souvent le cas avec Poutine, il est difficile de savoir quel est l'objectif principal", estime Craig Erlam, analyste chez Oanda.
Peu de "positif" pour le rouble, souligne un expert
Timothy Ash, analyste de Blue Bay Asset, trouve "difficile" d'y voir du positif pour le rouble. Selon lui, Poutine "essaie essentiellement d'amener les pays occidentaux qui ont sanctionné la Banque centrale de Russie à traiter avec elle. Mais cela ne fera que compliquer les transactions avec la Russie pour l'approvisionnement en énergie. Cela ne fera qu'accélérer la diversification loin de l'énergie russe".
Le conflit en Ukraine porte-t-il un coup sérieux au rôle du dollar ? C'est "loin de la vérité", tempère Neil Shearing, économiste principal de Capital Economics, dans une note. "Cela pourrait accélérer le développement de plus petits blocs commerciaux qui utilisent des devises alternatives, mais celles-ci ne rivaliseront pas avec l'ampleur et la portée du dollar".
Le danger pour Gazprom
Le groupe d'investissements LokoInvest souligne le danger pour Gazprom de se retrouver à court de devises étrangères pour honorer ses créances à l'avenir. Il estime que les pays déclarés "hostiles" par la Russie représentent plus de 70% des exportations énergétiques russes en valeur.
Mais selon Andrew Weiss de la fondation Carnegie "Poutine sait comment créer" des situations très désagréables pour ses adversaires et "en tirer profit". L'annonce "surprise" de mercredi, accompagnée de la décision de réduire les exportations via un oléoduc ont fait remonter le pétrole à 120 dollars.