Le Parlement européen a exclu jeudi la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi de la "communauté" des lauréats du Prix Sakharov des droits de l'homme, qui lui avait été décerné en 1990, en raison des exactions commises contre la minorité musulmane rohingya en Birmanie. Une décision prise par le président du Parlement européen et les chefs des groupes politiques qui forment la Conférence des présidents.
"Elle s'est montrée indigne des valeurs du Prix Sakharov"
"La décision de la Conférence des présidents d'exclure formellement Aung San Suu Kyi de toutes les activités de la communauté des lauréats du Prix Sakharov sanctionne son inaction et son acceptation des crimes en cours contre la communauté Rohingya", indique le Parlement dans un communiqué sur cette mesure sans précédent. La décision du Parlement européen intervient alors que deux ex-militaires birmans ont reconnu avoir commis sur ordre de leurs supérieurs des exactions à l'encontre de Rohingyas et pourraient devoir témoigner devant la justice internationale.
"Alors qu'Aung San Suu Kyi était un symbole de la liberté et de la démocratie pendant de longues années, notre institution a noté avec inquiétude qu'en tant que conseillère d'Etat et ministre des Affaires étrangères de Birmanie, elle n'a fait aucun usage de ses fonctions pour défendre les droits des Rohingyas", a souligné Heidi Hautala, vice-présidente du Parlement européen."Au contraire, elle a été explicite dans son soutien à l'armée qui commettait ces exactions (...) elle a ignoré les appels du Parlement européen et s'est montrée indigne des valeurs du Prix Sakharov", a poursuivi Mme Hautala, dans un communiqué distinct, pointant "le déni de responsabilité de son gouvernement pour des crimes contre l'humanité".
"Nettoyage ethnique"
Environ 750.000 Rohingyas ont fui depuis août 2017 les exactions de l'armée birmane et de milices bouddhistes et s'entassent depuis dans d'immenses camps de fortune au Bangladesh voisin. Aung San Suu Kyi --cheffe de facto du gouvernement birman-- a été vivement critiquée pour son silence sur cette répression qualifiée par l'ONU de "nettoyage ethnique". L'ONU a par ailleurs déploré que la dirigeante n'ait pas utilisé son "autorité morale" dans la crise. La "communauté" du Prix Sakharov dont elle a été exclue met en relation les eurodéputés, les lauréats et la société civile pour évoquer les violations des droits de l'homme et mobiliser l'opinion internationale sur les droits humains.
Le prix lui-même, en revanche, ne peut pas être formellement retiré à Aung San Suu Kyi, a-t-on précisé de source proche du dossier. "Le prix est attribué pour des actions spécifiques (...) On ne peut pas lui retirer ce qu'elle a fait dans le passé", a indiqué cette source. En 1990, le Parlement européen lui avait décerné le Prix Sakharov pour la liberté de l'esprit, alors qu'elle était leader de l'opposition birmane, pour avoir incarné le combat de son pays pour la démocratie. Créé en 1988, ce prix récompense "une contribution exceptionnelle à la lutte pour les droits de l'homme dans le monde" et a plusieurs fois fait office d'antichambre du prix Nobel de la Paix, qu'elle a obtenu en 1991. Le comité Nobel norvégien avait exclu l'an dernier de retirer le Nobel de la paix à Aung San Suu Kyi, ses statuts ne prévoyant pas une telle possibilité. Le prix Elie Wiesel lui a été retiré en 2018.