La percée populiste est symbolique. Dimanche, lors des élections régionales allemandes, le parti anti-migrants AfD - pour "Alternative für Deutschland" (une alternative pour l'Allemagne) - est arrivé deuxième en Mecklembourg-Poméranie, fief d'Angela Merkel. Le parti de la chancelière, la CDU, s'y classe troisième avec un peu moins de 20% des voix, derrière les sociaux démocrates du SPD (30%). "La cerise sur le gâteau, c'est qu'on laisse la CDU de Merkel derrière nous", n'a d'ailleurs pas manqué de réagir Leif-Erik Holm, chef de file de l'AfD, crédité de 21% des suffrages. Après ses succès de mars dans trois autres Länder, la formation politique siègera désormais dans neuf parlements régionaux, soit plus de la moitié d'entre eux. Et ce, grâce à une stratégie bien différente de celle de ses débuts.
- A l'origine : un parti anti-euro
En passe de devenir la troisième force politique d'Allemagne, l'AfD a été créé il y a seulement trois ans. Son fondateur, Bernd Lucke, professeur d'économie à l'Université de Hambourg, espérait séduire les déçus des partis politiques établis, en pleine crise de la monnaie unique européenne. Le parti surfait alors sur le mécontentement lié à la crise de l'euro et le sentiment, assez répandu, que les contribuables allemands n'en finissaient plus de payer pour les autres membres de la zone euro, moins vertueux.
En 2013, l'AfD échoue à entrer au Bundestag. Avant de parvenir, un an plus tard, à envoyer sept élus au Parlement européen et entrer dans cinq assemblées régionales.
- Virage à droite et ligne anti-migrants
En interne, le parti se trouve alors tiraillé par une lutte idéologique, opposant Bernd Lucke à Frauke Petry, incarnation d'une ligne plus nationale-conservatrice. Le congrès d'Essen, début juillet 2015, donne la victoire à la seconde, engageant le parti dans un virage marqué à droite. Un mouvement encore accentué deux mois plus tard, avec la décision de la chancelière Angela Merkel d'ouvrir les portes du pays aux réfugiés, par "devoir moral".
Avec l'arrivée d'un million de demandeurs d'asile, Frauke Petry, quadragénaire au verbe sec et aux formules choc, mise sur une ligne anti-islam et anti-migrants, allant jusqu'à suggérer que la police fasse "au besoin" usage d'armes à feu pour empêcher les migrants d'entrer en Allemagne. La centaine d'agressions sexuelles commises dans la nuit du 31 décembre 2015 à Cologne constitue un argument supplémentaire pour l'AfD, jugeant la société allemande incapable de gérer l'afflux de réfugiés. Parallèlement, des études confirment une percée des idées populistes dans le pays : en juin 2016, un Allemand sur deux admet se sentir "parfois étranger" dans son pays à cause de la présence de musulmans.
- Des "libéraux de droite" comparés aux Nazis
Critiqués par les partis traditionnels pour leur "absence de programme", Les leaders de l'AfD rejettent en bloc le qualificatif d'extrême-droite, se définissant comme conservateurs ou "libéraux de droite". La formation politique ratisse large, mais convainc particulièrement les abstentionnistes : 20% des électeurs qui s'étaient abstenus aux législatives de 2013 se disent proches de ses idées, relève Le Monde.
En juin dernier, le social-démocrate Sigmar Gabriel, vice-chancelier allemand, n'a, lui, pas hésité à comparer le parti aux Nazis : "Tout ce qu'ils disent, je l'ai déjà entendu notamment de mon propre père, qui a été un nazi jusqu'à son dernier souffle". Un haut responsable du parti populiste, Alexander Gauland, s'en était pris quelques jours plus tôt à Jérôme Boateng, défenseur noir de l'équipe nationale, estimant que les Allemands " l'apprécient comme footballeur mais ne veulent pas l'avoir comme voisin".
- Une année de succès électoraux
Le virage anti-migrants adopté par l'AfD semble porter ses fruits. En 2016, le parti a enchaîné les succès aux élections régionales, enregistrant même un score record de 24% en Saxe-Anhalt, dans l'est du pays. Ses percées les plus importantes sont localisées en ex-RDA communiste, moins prospère. Mais l'AfD peut également se targuer de récents bons résultats à l'Ouest, comme ses 15% en mars dans le riche Bade-Wurtemberg.
"L'Allemagne a connu, dans les dernières années, à des moments différents, des mouvements d'extrême droite avec des positions dans les Länder, mais jamais au Bundestag", analysait en mars Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur d'Allemagne en France. "C'est préoccupant aujourd'hui, mais ce n'est pas encore le chamboulement complet", poursuivait-il. A un an des législatives, le parti populiste rêve pourtant de confirmer son statut de troisième force politique, derrière la CDU et le SPD. Et les chiffres lui donnent pour l'instant raison : selon le principal sondage politique du pays, DeutschlandTrend, l'AfD comptait 14% des intentions de vote en septembre 2016, contre 4% un an plus tôt.