Arrêté par la Direction générale de la sécurité intérieure en Normandie, Ahmed H. est mis en examen depuis le 9 mars. Cet irakien, arrivé en France en 2016 et qui avait obtenu le statut de réfugié, est soupçonné d'avoir été un cadre du groupe Etat islamique (EI), pour lequel il aurait notamment administré la région de Samarra, au nord de Bagdad. Incarcéré, l'homme fait désormais l'objet d'une enquête pour "assassinats en relation avec une entreprise terroriste", mais aussi pour "crimes de guerre" : si rien n'indique que l'homme entretenait des contacts avec la zone irako-syrienne ces derniers mois, les services de renseignement estiment qu'il a participé à l'un des principaux massacres commis par l'EI.
Que s'est-il passé ?
Les faits remontent au 11 juin 2014, près de Tikrit, la ville natale de Saddam Hussein, à environ 200 km au nord de Bagdad. L'EI porte encore le nom d'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). L'organisation, qui vient de remporter la bataille de Mossoul, progresse vite. Au même moment, un contingent de plusieurs centaines de jeunes soldats, qui viennent d'être appelés au sein des forces irakiennes, reçoivent les premiers rudiments de leur formation militaire. Ils sont envoyés sur la base aérienne d'Al Sahra, aussi appelée "camp Speicher", à Tikrit. La plupart d'entre eux ne sont pas encore armés.
Lorsque l'EIIL approche de la base, les jeunes se rendent sans tirer, en civil, persuadés d'être traités en prisonniers de guerre. D'abord escortés par des tribus locales, ils pensent prendre la direction de la ville de Samarra, au sud. Mais ces intermédiaires les remettent aux mains des combattants djihadistes, lourdements armés. Les soldats, majoritairement chiites, sont allongés au sol, face contre terre, et menottés dans le dos. Le massacre durera vingt-quatre heures : en différents points de la ville, notamment son université, ils seront transportés dans des camions-benne, forcés de s'allonger dans des fosses communes et mitraillés par des tirs de kalachnikov.
Quel est le bilan humain ?
Il est difficile à établir, malgré le caractère inédit de la médiatisation du massacre : la tuerie de Tikrit est le premier crime de guerre a avoir été largement filmé par ses auteurs, puis diffusé sur les réseaux sociaux via les canaux de propagande. Sur des clichés et des vidéos publiés dans les jours, les semaines et les mois suivant les faits, on voit des combattants de l'EIIL tirant sur leurs victimes en riant, des mares de sang et des nuages de poussière s'élevant des fosses communes. Certaines victimes supplient les bourreaux, expliquant qu'ils viennent seulement de rejoindre les forces irakiennes.
Parmi les quelques militaires ayant échappé au massacre, beaucoup se sont fait passer pour sunnites. "Les chefs étaient des Syriens, les exécutants étaient des Irakiens : c'était les plus violents, ils avaient la haine des chiites", a raconté à France Inter Ali Hussein Khadim, qui a survécu caché au milieu des soldats assassinés. Mohamed Madjoul Hamoud, un autre rescapé interrogé par Reuters, s'est lui présenté comme un bédouin sunnite, venu rendre visite à son oncle dans la région. Ses frères et ses cousins ont été tués.
Au total, l'organisation djihadiste revendique la mort de 1.700 soldats. Depuis la reprise de la ville de Tikrit, un an après le massacre, des médecins légistes ont exhumé environ 600 corps des fosses communes, mais les témoins racontent qu'une partie des victimes a également été jetée dans le fleuve voisin, le Tigre.
D'autres auteurs du massacre ont-ils été arrêtés ?
En août 2016, 36 hommes jugés coupables du massacre ont été pendus en Irak, sous les yeux de dizaines de familles de victimes. Mais l'ONG Human Rights Watch n'a cessé de dénoncer le manque de transparence des procédures, évoquant des procès bouclés en quelques heures seulement. "Certaines d'entre elles ont tué et d'autres les ont aidées dans ce crime", répondait alors une source judiciaire irakienne à l'AFP, à propos des personnes exécutées. Le rôle précis d'Ahmed H. dans le massacre n'a pour l'instant pas filtré.