"Je n'ai pas d'expérience, mais j'ai suffisamment de force et d'énergie." Novice en politique, le comédien ukrainien Volodymyr Zelensky est désormais largement favori pour réussir son pari : accéder à la présidence du pays, après un premier tour où il a rassemblé dimanche 30,4% des voix, contre 13,2% pour son rival et président sortant Petro Porochenko.
Avant le deuxième tour du scrutin, dimanche 21 avril, l'humoriste de 41 ans devra convaincre que son inexpérience n'est pas un handicap pour diriger un pays en crise, alors que ses détracteurs dénoncent entre autres son programme bancal. "Ce n'est que le début, nous ne nous relâchons pas", prévient pourtant Zelensky, porteur d'un message anti-élites. Portrait d'un ovni politique aux marches du pouvoir.
Un rôle prémonitoire
S'il devient président de l'Ukraine le 21 avril, Volodymyr Zelensky endossera ce costume pour la seconde fois : il a déjà incarné à l'écran un professeur d'histoire qui devient chef de l'État à la suite d'une vidéo virale, dans laquelle il critique la corruption. La fiction s'appelle Serviteur du peuple, elle est diffusée depuis 2015 et c'est en partie ce rôle qui a permis au comédien de se faire connaître auprès de ses concitoyens. Le nom de son parti est d'ailleurs le même que celui de la série.
Une campagne atypique
Le rôle du professeur devenu président a vite dépassé la fiction. Dès l'été 2018, son interprète figure parmi les potentiels rivaux au sortant Petro Porochenko dans les sondages. "Les analystes politiques de Porochenko ont alors commencé à tester la popularité de plusieurs personnalités", relate Volodymyr Fesenko, directeur du centre d'études politiques de Penta, à Kiev, dans un entretien à Society.
L'hypothèse Zelensky fait son chemin, jusqu'à ce fameux réveillon de la Saint-Sylvestre où il se déclare candidat à la présidentielle sur scène, aux côtés d'un sapin coloré. Depuis, favori des sondages, il refuse les sollicitations médiatiques classiques pour faire campagne via des vidéos partagées sur les réseaux sociaux.
Opposé pendant cette campagne à des habitués de la politique, Petro Porochenko et Ioulia Timochenko, arrivée troisième dimanche, Volodymyr Zelensky n'a pas mis de côté son activité d'homme de spectacle, continuant à se produire sur scène avec son studio de comédiens, "Kvartal 95".
Une "nouvelle vie sans corruption"
Si la forme détonne chez ce quadragénaire un brin extravagant, ses détracteurs mettent surtout en exergue le flou de son programme, établi par un vote sur les réseaux sociaux. Axe majeur de sa candidature, la lutte contre les élites corrompues trouve un écho chez ses électeurs, alors que les scandales se sont multipliés ces dernières années. Plusieurs militants, diplomates et experts ont expliqué à l'AFP ou au Monde que Zelensky était un candidat pragmatique sans idées précises ni arrêtées.
Une bienveillance à l'égard de la Russie
Volodymyr Zelensky est partisan d'un dialogue renoué avec la Russie, notamment pour régler le conflit entre l'armée ukrainienne et les séparatistes pro-russes dans l'est du pays, qui a fait 13.000 morts depuis 2014. Cela ne l'empêche pas de vouloir maintenir le cap pro-occidental du pays, dans un contexte de tensions toujours très fortes entre Kiev et Moscou.
Cette volonté globale d'apaisement est bien vue par les Russes. Le Kremlin s'est pour l'instant gardé de donner une quelconque opinion sur l'acteur, en position de force après le premier tour, indiquant cependant espérer ne pas voir "le parti de la guerre" l'emporter, manière de viser sans le nommer le président sortant Petro Porochenko.
Un "clown" manipulé ?
L'acteur est accusé, y compris par le chef de l'État sortant Petro Porochenko, d'être une "marionnette" du sulfureux oligarque ukrainien Igor Kolomoïski, à couteaux tirés avec la présidence depuis 2016 et dont la chaîne de télévision 1+1 couvre de manière largement positive la campagne du comédien.
La veille du scrutin, elle a ainsi diffusé des spectacles avec Zelensky pendant sept heures, dont un documentaire sur Ronald Reagan, acteur devenu président américain en 1980. Le candidat, qui rejette les accusations de manipulation, y doublait la voix de l'ancien chef d'État. Avant de connaître le même destin ?