Cela fait 88 jours jeudi qu'Oleg Sentsov ne s'est pas alimenté. Ce cinéaste ukrainien, emprisonné dans une prison russe depuis 2015 après avoir été condamné à 20 ans de camp en Sibérie pour "terrorisme" et "trafic d'armes", suit une grève de la faim depuis le 14 mai dernier. Cette semaine, sa famille et son avocat ont multiplié les alertes sur la dégradation de son état de santé.
"La fin est proche". "La situation n'est pas simplement mauvaise, elle est catastrophique", a écrit la cousine du cinéaste, Natalia Kaplan, mercredi, sur Facebook. "Oleg m'a transmis une lettre, via son avocat. Il ne peut presque plus se lever. Il écrit que la fin est proche et il ne parle pas de sa libération." L'avocat, Dmitri Dinze, n'a quant à lui pu rencontrer son client que cinq fois depuis son incarcération. La dernière, c'était mardi. "La situation a dramatiquement évolué ces deux dernières semaines", souligne-t-il auprès du Monde. "Lui-même reconnaît qu'il se sent mal, ce qu'il ne faisait pas avant. La chaleur, forte en ce moment, joue aussi un rôle."
Problèmes cardiaques. Oleg Sentsov, 42 ans, boit chaque jours 3,5 litres d'eau et se fait injecter du glucose, ainsi que des amino-acides et des vitamines. Mais il a perdu 30 kilos et présente un taux très bas d'hémoglobine dans le sang. Le cinéaste souffre également de problèmes au cœur, avec un rythme cardiaque de 40 pulsations par minute, selon Me Dinze, qui reconnaît lui-même ne pas être en mesure d'évaluer précisément l'état de son client, et réclame donc que des médecins puissent l'examiner pour donner des "informations indépendantes". Les autorités pénitentiaires russes, elles, ont jugé l'état de santé d'Oleg Sentsov "satisfaisant". Le service d'application des peines a par ailleurs écrit le compte-rendu d'une visite qu'un prêtre orthodoxe aurait effectuée le 4 août au chevet du cinéaste, qui aurait alors déclaré que son état était "normal".
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Un procès "manifestement inique". Oleg Sentsov avait été arrêté en 2014, à son domicile. À l'époque, il avait interrompu le tournage de son second long-métrage (après un premier, Gaamer, remarqué par la critique) pour se consacrer à au militantisme politique. Pro-européen, le cinéaste né en Crimée, à Simferopol, dans une famille russophone, s'est opposé à l'annexion de la péninsule par la Russie. Au sein du mouvement Euromaidan, il a participé, entre 2013 et 2014, aux manifestations et au ravitaillement des soldats ukrainiens.
Interpellé, torturé par les services de renseignement russes selon ses dires, il est ensuite accusé d'avoir lancé des cocktails Molotov sur les locaux d'une organisation prorusse, puis jugé coupable de "terrorisme" et de "trafic d'armes". Le tribunal s'appuie sur les aveux de deux autres accusés, dont l'un refusera de témoigner et le second expliquera avoir signé des aveux sous la torture. Le procès, qui s'est tenu en août 2015, sera qualifié de "manifestement inique" par l'ONG Amnesty International.
Négociations au point mort. En commençant une grève de la faim le 14 mai dernier, Oleg Sentsov réclamait non seulement sa libération, mais aussi celle de tous les "prisonniers politiques" ukrainiens détenus en Russie. Un "échange de prisonniers" entre l'Ukraine et la Russie a bien été évoqué entre les présidents des deux pays, Petro Porochenko et Vladimir Poutine, mais rien n'a été fait depuis. Toute négociation est rendue d'autant plus difficile qu'Oleg Sentsov a beau avoir refusé d'adopter la nationalité russe après l'annexion de la Crimée, sa citoyenneté ukrainienne lui a été enlevée de force et il est donc considéré comme un citoyen russe. Le 17 juillet dernier, sa mère, Lioudmila Sentsova, a adressé une demande de grâce à Vladimir Poutine, ce que le cinéaste lui-même a toujours refusé de faire.
Nombreux soutiens. En trois mois, Oleg Sentsov a reçu le soutien de nombreuses personnalités occidentales. Le 14 juin, alors que débute la Coupe du monde de football en Russie, l'écrivain américain Stephen King appelle à sa libération sur son compte Twitter.
Today is day 1 of the @FIFAWorldCup and day 32 of Oleg Sentsov's hunger strike. Join me and @penamerican in calling for the release of this Ukrainian filmmaker unjustly imprisoned in Russia. Time is running out, and he may die for his views #FreeSentsovhttps://t.co/uViLsbo2N5
— Stephen King (@StephenKing) 14 juin 2018
Johnny Depp, Wim Wenders, Pedro Almodovar, Ken Loach ou, en France, Leïla Slimani et Bertrand Tavernier, lui ont également apporté leur soutien public. Côté politique, Emmanuel Macron a évoqué le cas du cinéaste avec Vladimir Poutine lors de sa visite à Saint-Pétersbourg, fin mai, puis lorsqu'il avait assisté aux matches de la Coupe du monde. En vain. "Nous espérions un geste à la faveur du tournoi", confie au Monde François Croquette, ambassadeur de France pour les droits de l'Homme. "On se heurte à un mur. Et on commence à craindre qu'il soit trop tard."