Sommet Kim Jong Un-Vladimir Poutine : pourquoi la Corée du Nord se rapproche-t-elle de la Russie ?

Lors de leur rencontre, les deux dirigeants ont évoqué la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne.
Lors de leur rencontre, les deux dirigeants ont évoqué la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne. © Alexey NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP
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Clémence Olivier avec AFP , modifié à
Le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un doit rencontrer jeudi le président Vladimir Poutine en Russie. Une façon pour la Corée du Nord de montrer aux États-Unis qu'il n'est pas son seul allié de poids.
ON DÉCRYPTE

C'est un sommet inédit. Kim Jong Un rencontrera Vladimir Poutine jeudi, à Vladivostok, en Russie, soit presque deux mois jour pour jour après sa rencontre avec le président américain Donald Trump qui s'est soldé, en février à Hanoï, par un fiasco. La Corée du Nord avait cherché à obtenir un allègement immédiat des sanctions internationales décidées pour la contraindre de renoncer à armes nucléaires et ses programmes de missiles balistiques. En vain. Mais pourquoi le dirigeant Nord-Coréen cherche-t-il à se rapprocher du président Russe ? Que peut-il attendre de ce sommet ? Et qu'espère Vladimir Poutine ? Europe 1 décrypte les enjeux qui se cachent derrière une telle rencontre.

Cette rencontre est-elle inédite ? 

C'est la première fois qu'un sommet entre Kim Jong Un et Vladimir Poutine est organisé mais pas qu'un dirigeant nord-coréen rencontre un président russe. Les relations entre Pyongyang et Moscou remontent en fait à l'ère soviétique.

A l'époque, l'URSS place au pouvoir le grand-père de Kim Jong Un et fondateur de la République populaire démocratique de Corée (RPDC), Kim Il Sung. Elle lui apporte alors un soutien crucial durant la Guerre froide. Leurs relations ont connu toutefois des hauts et des bas au cours de cette période, notamment parce que Kim Il Sung excellait dans l'art de jouer sur la rivalité entre Chine et URSS pour obtenir des concessions de ses deux puissants voisins.

Peu après sa première élection à la présidence russe, Vladimir Poutine a cherché à normaliser ces relations. Il a rencontré trois fois Kim Jong Il, père et prédécesseur de l'actuel leader, la première fois à Pyongyang en 2000, devenant le premier dirigeant russe à se rendre en Corée du Nord.

La dernière rencontre à ce niveau de l'État remonte à 2011. Kim Jong Il avait alors affirmé à l'ex-président Dmitri Medvedev qu'il était prêt à renoncer aux essais nucléaires. L'ex-dirigeant nord-coréen était mort trois mois plus tard. Depuis, les relations entre Moscou et Pyongyang sont considérées comme amicales.

Pourquoi cette rencontre intervient-elle maintenant ?

Elle s'inscrit dans une logique d'ouverture de la Corée du Nord vers l'étranger initiée à partir de 2018 et des Jeux olympiques d'hiver en Corée du Sud. Depuis, Kim Jong Un a rencontré quatre fois le président chinois Xi Jinping, trois fois le président sud-coréen Moon Jae-in et deux fois Donald Trump. "Dans un discours tenu en janvier, Kim Jong Un avait annoncé que si ça ne marchait pas avec les Américains et qu'une levée des sanctions n'était pas obtenue en échange d'une dénucléarisation partielle, il serait obligé de suivre une autre voie", note Pierre-Olivier François, réalisateur spécialiste de la Corée du Nord, qui a consacré plusieurs documentaires à ce sujet. "Le dernier sommet avec Donald Trump, en février, à Hanoï, ne s'est pas passé aussi bien qu'il l'espérait. L'autre voie est de revoir les anciens alliés, et donc la Russie".

Que souhaite Kim Jong Un avec ce rapprochement russe ?

En médiatisant ce sommet, la Corée du Nord espère faire passer un message aux Américains : "C'est une façon de faire comprendre aux États-Unis que la Corée du Nord a d'autres alliés possibles", décrypte Pierre-Olivier François. Ce sommet est aussi l'occasion de se rapprocher d'un pays membre du Conseil de sécurité de l'ONU. "Ce conseil a la main sur les sanctions internationales qui visent la Corée du Nord", rappelle le spécialiste.

Enfin, cette rencontre est une façon pour Pyongyang de maintenir de bonnes relations avec la Russie. "La Russie de l'Extrême-Orient est une zone importante pour les Nord-Coréens ", souligne le réalisateur de Corée : la guerre de Cent ans et Pyongyang s'amuse (Arte 2019). "De Vladivostok, où se tient le sommet, il y a des vols directs vers la Corée du Nord. Il y a des échanges par bateaux...". La Russie fournit notamment à Pyongyang de l'aide alimentaire et emploie une main d'oeuvre nord-coréenne bon marché d'environ 10.000 travailleurs, une source précieuse de devises pour Pyongyang.

Et Vladimir Poutine ?

Avec ce sommet Vladimir Poutine veut réaffirmer une nouvelle fois l'importance de la Russie sur la scène internationale. "La Corée du Nord et les discussions sur son arsenal nord-coréen est un grand enjeu international. Dès qu'il se passe quelque chose en Corée du Nord, tout le monde écoute", pointe Pierre-Olivier François. "La Russie veut ne veut pas être laissée de côté en ce qui concerne l'Asie du Nord-Est, qui est un des hauts lieux de la croissance mondiale et de la géopolitique mondiale".

Par ailleurs, la Corée du Nord reste une relation importante pour la Russie. Les deux pays partagent une frontière de 40 km près de Vladivostok. "Pour la Russie, c'est un accès au Pacifique. La Corée du Nord est également un pays tampon par rapport aux États-Unis", poursuite le spécialiste.

Que peut-il sortir de cette rencontre ?

Ce sommet devrait se conclure sans signature d'accords, ni communiqué commun. Les entretiens porteront d'abord sur la coopération économique entre les deux pays. Dans tous les cas, aucun coup d'éclat n'est à attendre. "Les diplomates russes ont l'habitude de dialoguer avec les Nord-Coréens. Ils connaissent très bien le pays. Chacun sait ce qu'il veut du côté russe et du côté nord-coréen. Tout le monde y trouvera son compte a priori," rappelle Pierre-Olivier François. "Est-ce qu'ils arriveront à faire avancer les dossiers ? Je ne sais pas. En tout cas, il serait vraiment surprenant que le sommet tourne au vinaigre".