Un tribunal d'Istanbul a ordonné vendredi la libération conditionnelle du rédacteur en chef et d'un journaliste du quotidien d'opposition Cumhuriyet, jugés pour des accusations d'aide à des groupes "terroristes".
Le patron du journal maintenu en détention. La libération du rédacteur en chef Murat Sabuncu et du journaliste d'investigation Ahmet Sik a été prononcée par le tribunal de Silivri, près d'Istanbul, au terme de la sixième audience du procès de 17 collaborateurs de Cumhuriyet. Les deux journalistes restent poursuivis dans cette affaire, a précisé le tribunal, qui a par ailleurs maintenu en détention le patron du quotidien, Akin Atalay.
Il est le dernier des 17 accusés à être encore incarcéré, tous les autres ayant été remis en liberté conditionnelle petit à petit depuis un an. Le patron de Cumhuriyet est incarcéré depuis 495 jours, la même durée que Murat Sabuncu. Ahmet Sik, pour sa part, est en prison depuis 434 jours. La sortie effective de prison des deux journalistes était prévue vendredi soir.
La sixième journée de ce procès, qui s'est ouvert le 24 juillet 2017, a démarré dans la tension. La police antiémeutes, positionnée devant le palais de justice, a essayé d'empêcher les partisans des accusés de parler aux médias. Certains y sont tout de même parvenus, comme le député d'opposition Utku Cakirozer.
Adalet yine 'bir' eksik... Murat Sabuncu ve Ahmet Şık'a tahliye; Akın Atalay'ın tutukluluğuna devamhttps://t.co/HF9uAon7Uspic.twitter.com/DKoevibUiC
— Cumhuriyet (@cumhuriyetgzt) 9 mars 2018
"Oppression". "Il est inacceptable que des journalistes restent si longtemps en prison simplement pour avoir exprimé leur opinion ou avoir publié des articles", a-t-il dit. Qu'on mette fin à cette oppression, titrait vendredi Cumhuriyet. Parmi les 17 accusés figurent d'autres grands noms des médias en Turquie, comme le chroniqueur francophone Kadri Gürsel et le caricaturiste Musa Kart. Tous risquent jusqu'à 43 ans de prison pour des accusations d'aide à trois groupes classés "terroristes" par Ankara: le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation d'extrême gauche appelée DHKP-C, et le mouvement du prédicateur Fethullah Gülen. Ce dernier, qui s'est exilé aux Etats-Unis, est désigné par Ankara comme l'instigateur de la tentative de putsch du 15 juillet 2016, mais nie toute implication.
Cumhuriyet rejette ces accusations et soutient que ce procès vise à réduire au silence l'un des derniers journaux indépendants du pays. Lors de l'audience de vendredi, le tribunal a entendu plusieurs témoins dont un ancien journaliste de Cumhuriyet, Altan Oymen. "Ces accusations sont inimaginables", a-t-il affirmé, rappelant que Cumhuriyet avait été un des premiers à rendre compte des activités de Fethullah Gülen.
L'emprise de Gülen déjà dénoncée par un des journalistes. Le journaliste Ahmet Sik, libéré vendredi, est d'ailleurs un des plus virulents critiques du prédicateur. Dans un livre publié en 2011 et initialement interdit, L'Armée de l'imam, il avait dénoncé l'emprise de Gülen sur les institutions turques, ce qui lui avait même valu un bref séjour en prison. Ce procès suscite l'inquiétude des partenaires occidentaux de la Turquie, où les autorités ont multiplié les arrestations de journalistes après le putsch manqué.
Vingt-cinq journalistes condamnés jeudi. Jeudi, 25 journalistes accusés d'être liés à la tentative de putsch ont ainsi été condamnés à des peines allant jusqu'à sept ans et demi de prison. Dans une autre affaire, la Cour de cassation de Turquie a annulé vendredi une condamnation à cinq ans de prison du journaliste d'opposition Can Dündar en 2016, estimant que celui-ci devrait recevoir une peine bien plus lourde pour "espionnage", selon l'agence de presse étatique Anadolu. Can Dündar, un journaliste turc d'opposition devenu l'un des symboles des atteintes à la liberté de la presse en Turquie et exilé Allemagne, avait été condamné en mai 2016 à cinq ans et dix mois d'emprisonnement pour révélation de documents secrets.