Les ministres européens de l'Intérieur tentent jeudi à Luxembourg de s'accorder pour débloquer la difficile réforme de la politique migratoire, lors d'une réunion cruciale que le Français Gérald Darmanin a dû quitter précipitamment à la suite d'une attaque au couteau survenue dans son pays. Le ministre de l'Intérieur français est parti du centre de conférences en fin de matinée, après l'annonce que cette agression qui a eu lieu à Annecy (Est de la France) a grièvement blessé plusieurs enfants en bas âge. Le pronostic vital est engagé pour deux des quatre enfants atteints, et pour un adulte. L'auteur présumé de l'agression, qui a été interpellé, est un réfugié syrien, a-t-on précisé de source policière à Paris. Cette réunion de l'UE est considérée comme un moment clé pour les discussions sur le Pacte asile et migration.
"Cela fait bientôt trois ans que j'ai présenté cette proposition. Cela a été un marathon et il nous reste peut-être 100 mètres", a déclaré la commissaire européenne aux Affaires intérieures Ylva Johansson, appelant les Etats membres à faire "ces dernières mètres pour arriver à un accord aujourd'hui". Plusieurs diplomates évaluaient à "50-50" les chances d'un accord, tant le sujet est conflictuel au sein des 27. La question de la réforme du système d'asile est revenue en haut de l'agenda, avec une hausse des arrivées de migrants dans l'Union européenne depuis la fin de la pandémie et alors que quelque quatre millions d'Ukrainiens sont réfugiés dans l'UE. La tendance est à une politique migratoire de plus en plus restrictive, dans un contexte où l'extrême droite a engrangé récemment des succès électoraux dans plusieurs pays membres.
Solidarité "flexible"
La Suède, pays exerçant la présidence semestrielle du Conseil de l'UE, a soumis aux ministres des propositions de compromis sur deux textes clés de ce Pacte. L'un prévoit une solidarité européenne obligatoire mais "flexible". Les Etats membres seraient tenus d'accueillir un certain nombre de demandeurs d'asile arrivés dans un pays de l'UE soumis à une pression migratoire ("relocalisations"), ou à défaut d'apporter une contribution financière à ce pays. Une tentative de trouver un équilibre entre les pays méditerranéens de première arrivée, qui souhaiteraient des relocalisations automatiques vers d'autres pays, et ceux comme la Hongrie ou la Pologne qui refusent de se voir imposer des demandeurs d'asile.
La chancelier allemand Olaf Scholz, attendu à Rome à la mi-journée, a estimé que l'Italie et la Grèce notamment affrontaient "un défi énorme" avec les arrivées croissantes à leurs frontières. "Nous ne pouvons pas laisser seuls" ces pays, a-t-il souligné dans une interview au Corriere della Sera. Les discussions portent sur une compensation financière de l'ordre de 20.000 euros pour chaque demandeur d'asile non relocalisé, d'après plusieurs sources diplomatiques. L'autre texte soumis aux ministres contraint les Etats membres à mettre en œuvre une procédure accélérée d'examen des demandes d'asile pour un certain nombre de migrants qui ont le moins de chances statistiquement d'obtenir le statut de réfugié, dans des centres situés aux frontières. L'objectif étant de faciliter leur renvoi vers leur pays d'origine ou de transit.
"Compromis difficile"
"Il y a un compromis sur la table qui est très difficile pour nous. Je me bats pour que les familles avec des enfants en bas âge ne soient pas soumises à la procédure frontalière", a déclaré la ministre allemande de l'Intérieur Nancy Faeser. En début de matinée, avant d'être remplacé à la réunion par l'ambassadeur français, Gérald Darmanin a souligné que la procédure aux frontières permettait une réponse rapide. "C'est aujourd'hui que la situation n'est pas très humaine", a-t-il estimé. "Quand les demandeurs ont droit à l'asile, on ne leur donne que très tardivement (...) Quand ils n'ont pas droit à cet asile, nous avons beaucoup de mal à les renvoyer dans leurs pays d'origine", a-t-il commenté.
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L'Autriche, qui défend une ligne dure sur l'immigration, plaide pour délocaliser ces demandes d'asile dans des pays tiers, sur le modèle de ce que le Danemark envisageait de faire au Rwanda. "Je me battrai pour que nous puissions mener des procédures dans des pays tiers sûrs, afin d'éviter que des personnes ne viennent en Europe par la mer et se noient", a déclaré le ministre autrichien Gerhard Karner. Plusieurs pays, dont la Hongrie et la Pologne, ont exprimé leur opposition aux propositions de réforme, selon des diplomates. Les décisions se prennent à la majorité qualifiée, ce qui signifie qu'il faut un soutien de 15 pays sur 27 pour parvenir à un accord.