C'est un vote qui a des répercussions dans le conflit russo-ukrainien. L'Assemblée nationale a reconnu mardi l'Holodomor comme "génocide", à l'instar du Parlement européen en décembre dernier. Le président de l'Ukraine Volodymyr Zelensky s'est empressé de saluer ce vote en partageant sa "reconnaissance envers les députés pour cette décision historique". Son de cloche radicalement différent du côté de Moscou, qui le qualifie ce samedi de "zèle anti-russe répugnant". Les deux pays ont en réalité deux lectures opposées de cet événement qui a marqué le début des années 1930.
La France vient de reconnaître #Holodomor de 1932-33 comme génocide du peuple . Reconnaissance aux députés de @AssembleeNat pour cette décision historique. Le régime totalitaire du Kremlin, passé ou présent, n’a pas pu détruire et ne détruira jamais la vérité et la justice! pic.twitter.com/0JKPplzOG5
— Володимир Зеленський (@ZelenskyyUa) March 28, 2023
En 1932 et 1933, environ 3,5 millions d'Ukrainiens ont péri du fait de l'"Holodomor", un terme qui signifie, en ukrainien, "l'extermination par la faim". Il s'agit d'une grande famine provoquée selon des historiens par les autorités soviétiques, dont le leader était alors Staline. Sur fond de collectivisation des terres, ce dernier voulait réprimer toute velléité indépendantiste de l'Ukraine, alors république soviétique et surnommée "le grenier à blé de l'Europe" pour la fertilité de ses terres noires.
De mauvaises récoltes en 1931
Comme le rapporte l'historien français Nicolas Werth, spécialiste de l'histoire de l'Union soviétique, en 1931, l'État russe a fait face à des mauvaises récoltes en Sibérie occidentale et au Kazakhstan, où déjà une grave famine tue plusieurs milliers de Kazakhes. Les dirigeants soviétiques décident donc d'augmenter leur part dans la collecte des céréales d'Ukraine, passant de 30% de la production en 1930 à plus de 42% en 1931. Les populations locales connaissent un début de famine de mai à juillet 1932, et si les autorités alertent le sommet de l'État, celui-ci met alors du temps à réagir.
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En pleine pénurie généralisée en Union soviétique, les autorités russes n'envoient que peu d'aide alimentaire au printemps 1932. Ces derniers ont en réalité surestimé la production de céréales en 1931-1932, qui servait alors plutôt à alimenter les secteurs de l'industrie et les exportations. Staline prend alors une série de mesures envers les paysans, mais il redoute également la survie du régime soviétique en Ukraine où se trouvaient de nombreux "koulaks", c'est-à-dire des "ennemis du peuple".
Exode des paysans vers la ville
Alors que le grand plan de collecte de céréales n'atteint pas les objectifs fixés, des mesures restrictives sont adoptées fin 1932-début 1933. Dans le même temps, de plus en plus d'agriculteurs désertent les campagnes pour gagner les villes et fuir la famine, tandis que l'État tente d'empêcher cet exode en installant des barrages tenus par l'armée. Des dizaines de milliers de paysans sont contraints de retourner vivre dans leur village, et des cadres locaux du parti communiste sont exécutés ou déportés.
En 1933, la mortalité atteint son paroxysme en Ukraine, car à la famine s'ajoutent le typhus et le cannibalisme. Au total, près de 3,5 millions d'Ukrainiens sont morts durant cette période, alors que l'URSS exportait toujours des céréales à l'étranger. Les autorités soviétiques décident de dissimuler cette catastrophe, et prennent début 1933 de nouvelles mesures d'urgence pour venir en aide aux habitants les plus modestes, exceptés les opposants au régime.
Pourquoi la Russie refuse de parler de "génocide"
Cette grande famine a commencé à être rendue publique quelques mois après, notamment grâce au travail de journalistes. En France, le livre L'Archipel du Goulag écrit par Alexandre Soljenitsyne permet au grand public de découvrir cet événement tragique. Aujourd'hui, avec l'invasion russe de l'Ukraine, il existe une peur d'un retour de l'"Holodomor", notamment quand l'armée de Vladimir Poutine bombarde les réserves de céréales.
Si l'Ukraine a fait campagne depuis des années pour que l'Holodomor soit officiellement reconnu comme un génocide, concept forgé lors de la Seconde Guerre mondiale, la Russie refuse elle catégoriquement une telle classification, prétextant que la grande famine qui a sévi en Union soviétique au début des années 1930 n'a pas seulement fait des victimes ukrainiennes, mais aussi russes, kazakhes, allemandes de la Volga et des membres d'autres peuples, rejoignant ainsi l'avis d'autres historiens. L'Allemagne, qui a également reconnu en novembre l'Holodomor comme génocide, avait été accusée par Moscou de "diaboliser" la Russie.