"C’est une porte qu’on nous a fermée" : à Londres, les étudiants déprimés par le Brexit
Membre de l'Union européenne depuis 1973, le Royaume-Uni lui a fait ses adieux, vendredi 31 janvier. Alors qu'une nouvelle page s'ouvre dans l'histoire du pays, Europe 1 a donné la parole aux jeunes britanniques, dont beaucoup sont favorables au maintien dans l'Union. Reportage à l'Imperial College de Londres, l'une des universités les plus sélectives du pays.
À l’heure du déjeuner, la cour grouille d’étudiants. Certains s'expriment évidemment en anglais, même si en tendant l’oreille, ce n’est pas la seule langue parlée dans la foule. Des mots allemands, français, espagnols, italiens et des accents détonnent dans ce brouhaha. Ici, à l'Imperial College de Londres, université britannique très sélective, 20% des élèves viennent de l’Union européenne. Parmi eux, se trouvent 700 Français. Britanniques ou étrangers, beaucoup d'étudiants se sentent européens.
Ils sont de cette génération qui n’a pas pu voter ou qui a voté pour la première fois, en 2016, lors du référendum. Majoritairement partisans du "remain", au maintien dans l'Union européenne (malgré un fort taux d'abstention des jeunes en 2016), ces étudiants évoquent leur futur avec inquiétude. Dix jours après le Brexit , nombre d'entre eux regrettent le Brexit. C'est le cas de Zoé, 20 ans, qui considère, comme ses amis, que le Brexit est une aberration. En 2016, elle n'avait pas pu voter car elle était trop jeune. Aujourd'hui encore, elle ressent un écart générationnel.
"Mais pourquoi tu as fait ça ?"
"J’ai un oncle qui a voté pour le Brexit. Avec ma sœur, vu qu’on est plus jeunes, évidemment qu'on lui a demandé pourquoi il faisait ça. C’est dommage. Ça me fait vraiment peur parce que ce n’est pas ma décision. Nous, les jeunes, on aime bien notre liberté, qui nous permet de se rendre hors du Royaume-Uni. J’ai l’impression que c’est une porte qu’on nous a fermée", affirme la jeune femme avec amertume. "Les gens ne savent pas exactement ce qui va se passer. On est la génération qui va devoir le découvrir."
En attendant ses amis dans la cour pour le déjeuner, Zoe croise le chemin de sa camarade Hope, bonnet vissé sur la tête pour lutter contre le froid. Hope a 20 ans et étudie la guitare à l’université. En entendant son amie parler de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, elle a tout de suite voulu donner son avis sur le sujet. Car depuis le Brexit, Hope n'est pas sereine pour l'avenir.
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"C’est ma génération qui va devoir vivre toutes les conséquences. C’est injuste que je n’aie pas eu mon mot à dire alors que je serai plus me touchée que les gens plus vieux", s'indigne-t-elle. "Par exemple, je pensais faire mon master en Europe. Mais maintenant, je ne sais pas si cela va être possible. Je reviens tout juste d’un Erasmus à Copenhague. C’est bizarre de revenir après cette expérience incroyable et de me dire que [les pro-Brexit] pensent que cela ne vaut pas le coup."
Une génération Erasmus contrariée
Après quelques minutes de discussion, Zoe et Hope disparaissent dans la foule avant de se diriger vers les stands de nourriture installés chaque semaine. Cuisines italienne, espagnole, libanaise ou encore chinoise… En proposant cette diversité de mets, l’université veut encourager ses étudiants à découvrir des plats venus d'ailleurs. Au vu des files d’attentes de plusieurs mètres devant les stands, l'initiative paraît être un succès. À l'intérieur de l'une de ces cabanes, une jeune femme de 23 ans, Fria est entourée d'Italiens. Elle vend des pizzas pour arrondir ses fins de mois. Un emploi bien éloigné du milieu du théâtre et du cinéma pour cette jeune femme qui rêve de devenir actrice. Selon elle, le Brexit ne l'aidera pas à propulser sa carrière.
"Il y a plein de superbes opportunités pour jouer au théâtre en Europe, dans des villes proches du Royaume-Uni, comme à Bruxelles ou à Berlin. Maintenant, ce n’est plus possible", se plaint Fria. "Plein de théâtres, à Londres, sont financés par des fonds européens. Mais ils vont maintenant être coupés donc ils vont fermer", ajoute-elle. "On ne peut plus voyager pour promouvoir des pièces que l'on joue ici, au Royaume-Uni." Pour cette jeune femme qui a le goût du voyage, le Brexit est une entrave à sa liberté. "C'est beaucoup plus contraignant. Tout est limité. J’ai déjà des camarades de classe qui ont dû rentrer dans leurs pays dès qu'ils ont obtenu leur diplôme. Ça craint."
Si les artistes se sentent concernés par le Brexit, certains scientifiques partagent la même opinion que leurs camarades, comme Gabrielle, croisée à sa sortie des cours. Âgée de 21 ans, elle est en dernière année de licence de biologie. Elle avait pu voter en 2016, en fêtant ses 18 ans quelques semaines avant le scrutin. À cette époque déjà, elle voulait que son pays reste dans l’Union européenne.
Obstacles professionnels
"L'une des conséquences pour les étudiants scientifiques, c’est que, maintenant, les masters, les thèses ou encore les financements auxquels je peux postuler sont très différents. On reçoit constamment des relances pour des programmes qu’on ne pourra plus suivre. Des gens qui étudient ici maintenant ne pourront plus le faire", se désole-t-elle. "C'est dommage parce que la science est par définition collaborative. Elle dépend d’un partage international d’idées et de connaissances". Pour elle, la sortie de l'UE est plus qu'un accord entre bureaucrates : elle a des conséquences concrètes. "Le Brexit, c’est ce mur que l'on construit là où il ne devrait vraiment pas y en avoir", proteste Gabrielle.
Quasiment à contre-cœur, elle a décidé de rester au Royaume-Uni pour son master. Mais elle espère pouvoir continuer à voyager dans l’Union européenne. Pour tous les étudiants rencontrés à l'Imperial College, malgré les contraintes, le Brexit ne signe pas pour autant la fin du sentiment européen. Eve, 19 ans, étudiante en médecine, pense même tout le contraire.
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"Presque comme un acte de vengeance, le fait que l'on ait quitté l'Union européenne m'a fait me sentir plus Européenne qu’avant maintenant", affirme-t-elle. "Va te faire voir, Boris !", lance-t-elle dans un rire. "Je me sens toujours Européenne. Que l'on soit dans l’Union ou pas, pour moi l’Europe n’est pas l’Union européenne, je veux toujours avoir des liens avec les peuples européens : des Français, des Allemands, des Espagnols."
Tout sourire, elle dit ne pas être trop inquiète pour la suite. Eve a en effet trouvé une solution pour rester Européenne. Puisque son père est Irlandais, elle va pouvoir demander la double nationalité. Grâce à son passeport de la République d’Irlande, elle pourra voyager dans toute l’Union. Comme si de rien n’était.