La France a reconnu qu'un navire saoudien effectue ce mercredi un "chargement d'armes" mais assuré une nouvelle fois qu'elle ne disposait d'"aucune preuve" permettant d'affirmer que des armes françaises sont utilisées dans la guerre meurtrière menée au Yémen par l'Arabie.
"Il y aura chargement d'armes en fonction et en application d'un contrat commercial", a déclaré sans plus de précisions la ministre des Armées Florence Parly sur la chaîne BFM TV et la radio RMC, interrogée sur le cargo saoudien Bahri Yanbu qui fait route vers le port du Havre, où il doit arriver vers 17h.
La nature des armes, ni la destination n'ont été précisées
Selon le site d'investigation Disclose, le navire doit prendre livraison de "huit canons de type Caesar" que l'Arabie saoudite pourrait utiliser dans la guerre qu'elle livre au Yémen aux rebelles houthis, minorité chiite soutenue par l'Iran, grand rival de Ryad. Florence Parly n'a pas précisé la nature des armes qui seront chargées ni leur destination. Selon une source gouvernementale, "il ne peut pas s'agir de canons Caesar puisqu'il n'y a aucune livraison de Caesar en cours". Le Caesar est un camion équipé d'un système d'artillerie.
La ministre des Armées a de plus répété que, "à la connaissance du gouvernement français, nous n'avons pas d'éléments de preuve selon lesquels des victimes au Yémen sont le résultat de l'utilisation d'armes françaises". La ligne invariablement avancée par Paris est que ces armements ne sont utilisés que de manière défensive et pas sur la ligne de front. Or, selon une note de la Direction du renseignement militaire (DRM), révélée par Disclose mi-avril, 48 canons Caesar produits par l'industriel français Nexter "appuient les troupes loyalistes, épaulées par les forces armées saoudiennes, dans leur progression en territoire yéménite". Une carte de la DRM estime que "436.370 personnes" sont "potentiellement concernées par de possibles frappes d'artillerie", dont celles des canons français.
Olivier Faure "demande la vérité"
"Florence Parly dit qu'elle n'a pas de preuves. Mais la question n'est pas de savoir si nous avons des preuves mais de chercher par tous moyens si des armes françaises sont utilisées contre des civils. On l'avait fait en Syrie quand il y a eu des doutes sur les armes chimiques", a répondu le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure. "Je demande la vérité. Dès lors qu'il y a une présomption grave, il faut un moratoire sur les ventes d'armes, comme l'Allemagne l'a fait. Cela permettrait à la France de ne pas être complice de crimes de guerre", a-t-il ajouté.
Les civils sont nombreux parmi les dizaines de milliers de personnes tuées au Yémen. Environ 3,3 millions de personnes sont toujours déplacées et 24,1 millions, soit plus des deux tiers de la population, ont besoin d'assistance, selon l'ONU. Florence Parly a rappelé que ces ventes d'armes faisaient partie de "partenariats à long terme avec l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis". "La France a des intérêts dans cette zone du monde", a-t-elle ajouté.
Protestation à l'Assemblée
"C'est la catastrophe humanitaire la pire au monde", a souligné Olivier Faure, regrettant que la France oppose à cela sa "réputation commerciale" qui risquerait, selon elle, d'être mise à mal si des contrats avec l'Arabie étaient interrompus. Mardi, lors d'une séance houleuse à l'Assemblée nationale, le député communiste Jean-Paul Lecoq avait déjà interpellé le gouvernement sur le sujet : "Plus de 60.000 personnes ont été tuées et plus de 16 millions de Yéménites sont menacés de famine (...) Mais la France, au nom de sa diplomatie du porte-monnaie, continue à vendre des armes à l'Arabie saoudite en toute opacité". L'ensemble des parlementaires de gauche ont quitté l'hémicycle en signe de protestation.
Le Bahri Yanbu a déjà suscité la polémique lors de son passage dans le port belge d'Anvers, où des ONG belges soupçonnent la compagnie nationale saoudienne Bahri d'avoir chargé des armes ou des munitions à destination de Ryad régulièrement depuis l'été dernier.