Depuis des années, le climat est morose pour la presse française. Mais un chiffre récent symbolise l'ampleur de la crise : les ventes en kiosque des quotidiens nationaux ont chuté de 15% lors des neuf premiers mois de l'année 2013. Face à cette tendance, les journaux essaient de récupérer en ligne les lecteurs qui n'achètent plus leur version papier. Et pour cela, l'inspiration pourrait venir de l'étranger, où plusieurs modèles visant à faire payer l'information aux internautes ont été tentés. Avec succès ?
• Le "paywall" est à la mode. Aux Etats-Unis, où la crise de la presse est survenue plus tôt qu'en Europe, de nombreux titres se sont retrouvés au pied du mur. "En 10 ans, plus de 170 journaux ont tout simplement mis la clé sous la porte", notait l'an dernier le consultant Erwann Gaucher sur son blog. Les autres ont dû chercher des solutions pour compenser la baisse des ventes. Et un modèle tend désormais à s'imposer : le "paywall", terme consacré pour désigner le fait de faire payer les articles en ligne. "Aujourd'hui, 40% des sites de journaux américains ont des paywalls", indique Frédéric Filloux, directeur des activités numériques du quotidien Les Echos.
De grands titres anglo-saxons ont fait figure de pionniers. Depuis une décennie, le Wall Street Journal et le Financial Times, bibles de l'information économique internationale, font payer une grande partie de leurs contenus en ligne… avec succès. En 2011, c'est un autre géant, le New York Times, qui a franchi le pas en lançant un paywall "souple" : l'internaute peut consulter gratuitement dix articles par mois ; au-delà, il doit s'abonner. "Cela permet de tirer des recettes des lecteurs sans pour autant sacrifier l'audience du site", commente Frédéric Filloux. Aujourd'hui, le New York Times revendique 700.000 abonnés numériques payants, soit plus que le nombre d'abonnés au quotidien papier.
Mais... Des exemples à suivre ? "Il est clair que ce modèle a donné des résultats", affirme Benoît Raphaël, consultant spécialisé dans les médias numériques. Mais le paywall a ses limites, nuance-t-il : "il est adapté pour les grandes marques médias, qui bénéficient d'une forte notoriété et d'une base de gens prêts à payer pour leurs contenus". Difficile donc pour des titres moins connus de répliquer ce modèle. D'autant qu'aux Etats-Unis, la quasi-totalité des journaux d'information sont locaux.
• Des éditions déclinées sur tablettes. Autre tentative récente de faire payer les lecteurs en ligne : certains titres ont créé une édition supplémentaire dédiée au numérique. Au début de l'année, le quotidien belge Le Soir a lancé Le Soir 17h, une édition disponible uniquement sur les écrans en fin d'après-midi. Même chose pour le Daily Mail britannique, qui a créé le Daily Mail Plus, un produit destiné exclusivement aux tablettes. Ce type d'"e-quotidien" est en pleine expansion dans de nombreux pays, rapporte Stratégies, même si leur développement est encore expérimental.
Mais… "C'est un modèle intéressant, mais dont la production est assez chère", juge Frédéric Filloux. "Sur ce type de produit, ça va se jouer sur la différenciation". Ouest-France, premier quotidien régional de l'Hexagone, s'est lancé dans cette voie : le journal est en train de créer un quotidien payant sur iPad, une première nationale. Et de nombreux titres, comme Le Journal du dimanche ou Le Monde, ont créé des versions "enrichies" de leur journal papier pour les tablettes.
"Il n'y a pas de formule magique". Certaines recettes ont donc commencé à prendre, mais l'alchimie reste fragile. "Aucun modèle unique ne se détache, il n'y a pas de formule magique", prévient Benoît Raphaël. "Pour l'instant, le payant sur Internet est loin de compenser les ventes papier, même si les coûts sont moindres", renchérit Frédéric Filloux. "Aujourd'hui, tout le monde explore", ajoute-t-il, pronostiquant que "la presse devrait aller vers des modèles hybrides, qui mêlent gratuit et payant". Un mélange qui doit encore faire ses preuves.