Elle souhaite un groupe "à la pointe" dans la création de nouvelles fictions. Dans son projet stratégique dévoilé par le CSA, Delphine Ernotte Cunci, nommée la semaine dernière présidente de France Télévisions, déclare miser sur "l'innovation" et une "certaine prise de risque". Un projet compatible avec l'état de la production française ? Qu'en pensent producteurs et experts de la fiction tricolore ?
"Parlons-nous". "On attend beaucoup d'elle", précise d'emblée Frédéric Tellier, co-président du Groupe 25 Images qui représente des réalisateurs de fiction télé. Avec "beaucoup d'espoir et de vigilance", il insiste : la fiction, dans laquelle France Télévisions investit chaque année 250 millions d'euros, a besoin de consultation et de concertation avec l'ensemble des créateurs.
À la lecture du projet stratégique, Frédéric Tellier retient que Delphine Ernotte Cunci emploie "les bons mots", avec une "rhétorique inhérente à ce que doit être la télévision". "Il faut passer la seconde : la télévision française est à l'aube de son épanouissement", dit-il. Il encourage celle qui va "rentrer dans un bateau totalement délirant" à ne pas céder aux propositions de l'Institut Montaigne comme faire écrire les auteurs en anglais. "Il faut travailler sur la qualité des programmes", avance Frédéric Tellier.
Pilote, quotas et diversité. Dans son projet stratégique, Delphine Ernotte Cunci invite à la "généralisation du pilote", ces épisodes-test tournés et proposés clés en main aux chaînes, une pratique américaine. "C'est une piste de réflexion intéressante", retient Frédéric Tillier, du Groupe 25 Images, qui préférerait d'abord voir les quotas de diffusion de productions étrangères en prime-time réduits pour imposer au maximum les fictions françaises.
Delphine Ernotte Cunci évoque également la diversité, une donnée que la fiction doit mieux prendre en compte selon elle. "Notre retard est insupportable. Mais comment le rattraper ?, demande Frédéric Tillier. Elle ne le dit pas encore mais nous sommes rassurés qu'elle en parle et nous serons attentifs."
Plus de confiance, moins d'interventionnisme. Dans le document publié par le CSA, la nouvelle présidente du service public insiste sur l'importance de raccourcir les délais de création. Jusqu'ici, une idée originale met trois à quatre ans pour être portée à l'antenne. Trop long, répond Delphine Ernotte. Observateur réputé, Alain Carrazé se réjouit de cette ambition.
"Les délais, ça a toujours été le gros problème de la fiction française", assure ce spécialiste des séries, joint par Europe 1. Selon lui, à l'heure de la télévision à la demande et du replay, le public n'est plus prêt à attendre trois ans entre chaque saison. Le principal défi de Delphine Ernotte Cunci pour parvenir à une mise à l'antenne rapide, selon lui : que les chaînes cessent enfin de vouloir tout maîtriser.
"Les chaînes doivent lâcher du lest et faire plus confiance aux producteurs. Être diffuseur mais arrêter de vouloir jouer les scénaristes, les productreurs, les casteurs. Les chaînes paient mais elles doivent faire confiance et ne pas ralentir les chantiers de productions", recommande Alain Carrazé, qui retient que certains projets, tellement longs à mettre en place, sont parfois passés dans les mains de trois directeurs de la fiction différents chez France Télévisions !
De nouvelles cases pour des fictions plus audacieuses. Les producteurs indépendants sont sur la même ligne. Juliette Prissard, déléguée générale du SPI (Syndicat des Producteurs Indépendants), retient un rapport stratégique "plutôt pas mal" et invite la nouvelle présidente à multiplier les cases pour la fiction. En prime-time ? Pas nécessairement. "Il faut de la fiction en deuxième partie de soirée. C'est une case où on est moins le nez collé sur les audiences", explique-t-elle.
Le syndicat invite aussi la nouvelle patronne de France Télé à plus de transparence dans les investissements, à ne pas mettre "tous les oeufs dans le même panier", en multipliant les contacts avec les maisons de productions.
Juliette Prissard et le SPI appellent Delphine Ernotte Cunci à l'audace, tant dans la programmation que dans les programmes eux-mêmes. "Il faut accepter de prendre des risques sur des écritures impertinentes. Le public attend ça", assure Juliette Prissard. La présidente souhaite, elle, dans son rapport, des "nouveaux rendez-vous rassembleurs". Les deux aspects sont-ils compatibles ?
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