La grogne. "La grève risque d'être très suivie", reconnaissait mercredi Bruno Patino, le patron des programmes et des antennes de France Télévisions. A l'unanimité, les syndicats du groupe ont appelé tous les salariés à cesser le travail pendant 24 heures jeudi à partir de minuit. Ce mouvement devrait principalement perturber la diffusion des émissions en direct et des journaux télévisés. Les syndicats demandent le retrait d'un plan de départs volontaires portant sur 361 postes, présenté en octobre par la direction.
Des finances en berne. En face, la direction a averti qu'elle était seulement ouverte à "négocier le contenu et les modalités" du plan de départs, qu'il n'est donc pas question de retirer. Il faut dire que le PDG du groupe, Rémy Pflimlin, est au pied du mur. Le déficit prévu pour 2013 va exploser : il atteindra 180 millions d'euros, au lieu des 130 millions prévus, selon Le Monde. De lourdes pertes sont également annoncées pour l'année prochaine.
La raison ? Les ressources du groupe fondent comme neige au soleil. La semaine dernière, le conseil d'administration de France Télévisions a validé le contrat d'objectif et de moyen (COM), qui définit le programme budgétaire d'ici à 2015. D'après le document, la dotation publique va diminuer de 420 millions d'euros sur trois ans. Quant aux recettes publicitaires, elles devraient baisser de 390 millions d'euros. De mauvaises nouvelles pour France Télévisions, qui vise l'équilibre budgétaire à l'horizon 2015…
Service public contre pression de l'audience. L'équation financière paraît donc insoluble. Car au-delà des déficits, c'est le modèle économique même de France Télévisions qui sème le doute. "Il y a un problème structurel", explique à Europe1.fr Dominique Augey, économiste des médias à Aix Marseille Université. "Le groupe est écartelé entre un financement public majoritaire et l'obligation d'avoir des ressources publicitaires, sur le modèle du secteur privé". Les conditions dans lesquelles France Télévisions peut diffuser de la publicité aggravent cette ambiguïté : depuis 2008, les chaînes publiques n'ont plus la possibilité de programmer des spots après 20 heures. Une mesure décidée sous Nicolas Sarkozy et maintenue par l'actuelle majorité.
Pourtant, avec les restrictions budgétaires imposées par l'Etat, France Télévisions doit bel et bien trouver des ressources propres, et donc s'assurer de bonnes audiences. "Mais pour l'instant, on ne réussit pas vraiment à réconcilier mission de service public et succès d'audience", reprend Dominique Augey. Une impasse symbolisée par l'échec de Jusqu'ici tout va bien, l'émission présentée par Sophia Aram depuis la rentrée sur France 2 (photo).
"Un flou permanent". Pour la plupart des observateurs, le problème vient d'une absence de cap. "La décision sur ce que doit être le modèle économique de France Télévisions, c'est un vrai choix politique", martèle Dominique Augey. "Or, on a l'impression d'un flou permanent." La faute au PDG, Rémy Pflimlin ? Ou à sa tutelle, l'Etat actionnaire ? Invité mardi d'Europe Midi sur Europe 1, Franck Riester, député UMP et membre de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, a estimé qu'il y avait "un vrai problème dans les relations avec la tutelle, parce que les dirigeants de France Télévisions n'ont aujourd'hui pas toutes les manettes pour réformer".
Gouvernement et CSA à la rescousse. Pourtant, les pouvoirs publics semblent très préoccupés par le dossier. La semaine dernière, la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti (photo), a demandé "des réunions plus régulières et plus resserrées pour mieux comprendre l'évolution des recettes publicitaires", a indiqué son entourage à l'AFP. Quant au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), il a annoncé qu'il entendrait désormais toutes les deux semaines un représentant de France Télévisions "pour discuter de la politique mise en œuvre au sein du groupe".
Le CSA entend d'autant plus s'impliquer que la loi audiovisuelle récemment adoptée lui redonne le pouvoir de nommer le patron de France Télévisions, auparavant attribué au président de la République. Un gage d'indépendance, assure le gouvernement. Un bâton dans les roues supplémentaire pour le groupe, s'insurge l'UMP Franck Riester. "Ce mode de nomination crée de fait une double tutelle : l'Etat et le CSA", estime-t-il. "Rien de pire pour créer un problème de gouvernance au sein de France Télévisions". Cela ne ferait qu'un problème de plus.
>> Y a-t-il un problème de direction à France Télévisions ? Regardez le débat d'Europe Midi, diffusé mardi sur Europe 1 :
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