Lundi 5 avril marquait les 50 ans de la publication dans l'Obs du Manifeste des 343 de 1971 en faveur de l'avortement. Des femmes très célèbres, comme Simone de Beauvoir, et des anonymes, y révélaient avoir avorté à l'époque en toute illégalité. Cécile Prieur, directrice de la rédaction du magazine qui célèbre cette semaine les 50 ans du manifeste, était l'invitée de Culture Médias sur Europe 1. Elle revient sur la façon dont l'Obs a traversé les événements de l'époque, car la publication du texte a suscité des réactions très extrêmes.
L'idée d'une documentaliste de l'Obs
Des réactions qui ont été extrêmement virulentes à l'encontre du magazine non seulement parce que c'est lui qui le publiait, mais aussi parce que l'une des salariées du magazine en était à l'origine. "L'idée du manifeste est née dans la tête de Nicole Muchnik, qui était une jeune documentaliste à l'époque. En 1971, elle était complètement révoltée par les conditions de l'avortement en France et un jour, elle a eu l'idée, pour pour populariser cette idée, que des femmes célèbres revendiquent l'avortement. C'est comme ça que l'idée du manifeste est née. Elle a ensuite été voir le MLF (mouvement de libération des femmes) qui a trouvé l'idée formidable. Ensemble, ils sont allés voir Simone de Beauvoir et qui a écrit le petit texte", relate Cécile Prieur.
"Une odeur de charnier"
Un texte très court, et pourtant. "Les réactions ont été assez extrêmes. Le Nouvel Observateur a reçu énormément de courriers, des témoignages de femmes qui disaient apprécier le manifeste et être heureuses qu'il ait été publié, et beaucoup, beaucoup de courriers très négatifs et des injures, des insultes", raconte la directrice de la rédaction de l'Obs. "Dans la série des témoignages insultants, il y avait un certain docteur PM, comme le raconte l'une de nos journalistes qui a retrouvé ce courrier des lecteurs, qui dénonce par exemple 'ces 343 culs de gauche ensanglantés dont se dégage une odeur de charnier'. On en était là du niveau de violence verbale que le manifeste des 343 pouvait susciter."
Parmi les insultes, des femmes aussi. "Le Mouvement pour la libération des femmes avait à peine un an; énormément de femmes avaient une culture très conservatrice. L'Église catholique était très prégnante. Donc beaucoup de femmes étaient évidemment extrêmement choquées par le manifeste. L'avortement était considéré comme un infanticide, c'était très grave", rappelle Cécile Prieur. "Il ne faut pas croire que l'avortement, sa légalisation, s'est fait sans heurts".
Mais la presse a joué un grand rôle dans la lutte pour le droit à l'avortement, et la publication de ce manifeste dans l'Obs en particulier.
Pourquoi le manifeste a-t-il gardé le nom du "manifeste des 343 salopes" ?
A aucun moment le mot salope n'apparaît dans le manifeste publié par Le Nouvel Observateur. Alors comment se fait-il qu'on en parle encore avec cette insulte ? Comme le rappelle Cécile Prieur, ce nom vient d'une Une de Charlie Hebdo suite à la publication du Manifeste des 343, dessinée par Cabu. Cette Une représente Michel Debré, alors ministre de la Défense, avec une légende : "Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste ?" Lui répond : "C'était pour la France". Cette insulte, "les fameuses salopes, qui a été attribuée aux femmes des 343 pour les dénigrer, les femmes du manifeste l'ont repris à leur compte et elles l'ont récupérée positivement. Elles ont assumé d'être ces fameuses 343 salopes et c'est comme ça que le nom du manifeste est resté", explique Cécile Prieur.