Droits TV de la Ligue 1 : pourquoi le conflit entre DAZN et la LFP met le football français en péril

Le diffuseur britannique DAZN n'a payé que la moitié de la somme qu'elle doit à la Ligue de football professionnel pour les droits TV, soit 35 millions d'euros. Une partie de l'argent doit être redistribuée entre les clubs français (56,9 millions d'euros) "mi-février". Sans cela, c'est toute une économie déjà bien amochée qui est en danger.
Avis de tempête sur le football français. Ce jeudi, la Ligue de football professionnel (LFP) a assigné en référé le diffuseur de la Ligue 1, DAZN. La plateforme britannique a décidé de verser uniquement la moitié de ce qu'elle doit (35 millions d'euros) à la Ligue pour les droits TV. DAZN souhaite "créer un électrochoc" et estime ne pas être assez aidé par la LFP pour la promotion du championnat français et la lutte contre le piratage.
Après avoir obtenu en juillet 2024 les droits TV pour la période 2024-2029 contre 400 millions d'euros en moyenne par an, DAZN a fixé le prix de son abonnement seulement pour la Ligue 1 à 29.99 euros par mois, avec un engagement d'un an, et à 39.99 euros sans engagement. Un chiffre qui a découragé les fans du championnat français, habitués à payer un peu moins cher, mais pour beaucoup plus de contenu. En novembre 2024, le classico OM-PSG avait été victime d’un piratage massif puisque 55% des téléspectateurs l’auraient regardé de manière illicite.
Une grande partie de la somme, c'est-à-dire près de 57 millions d'euros, doit être partagée "mi-février" d'après Vincent Labrune, président de la LFP, entre les clubs français. Alors que certains sont déjà en difficulté économique, le non-paiement de DAZN pourrait gravement impacter les clubs de l'Hexagone, voire le football français en général.
Une économie menacée ?
"Ça serait très handicapant pour les clubs français qui ont des problèmes de trésorerie, notamment ceux qui ne sont pas en coupe d'Europe", estime Vincent Chaudel, expert en Sport Business. "Pour un club comme Angers, qui début janvier, n'a pas pu payer tous les salaires [certains l'ont été avec une semaine de délai NDLR], ça va devenir un problème. Ça va obliger les propriétaires de club à remettre de l'argent pour avoir de la trésorerie, mais certains n'en ont pas les moyens. Le président du Stade de Reims a annoncé qu'il avait remis 7 millions d'euros dans le club", poursuit-il.
Selon lui, la Ligue 2 et le football semi-professionnel pourraient être également impactés. "La Ligue 2 est 'Ligue 1 dépendante' et la Ligue 1 est 'télé dépendante'. Une partie des droits TV de la Ligue 2 vient de la Ligue 1. Si la Ligue 1 n'a plus d'argent à se partager, elle en aura encore moins à transmettre à la Ligue 2".
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Si DAZN venait à ne pas verser les 35 millions d'euros restants, le risque est grand. Des clubs professionnels pourraient finir dans la même situation que Bordeaux, placé en redressement judiciaire et rétrogradé en National 2 en août 2024 par la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion).
"La DNCG fait en sorte que tous les clubs qui commencent la saison soient économiquement en capacité de terminer. Donc l'été prochain, elle fera en sorte que les clubs vendent des joueurs si nécessaire pour faire toute l'année. Le problème, ce sont les clubs qui sont partis cette année avec une espérance de recettes, notamment liés aux droits TV, qui ne pourraient pas exister", explique Vincent Chaudel.
"Le risque également, c'est l'affaiblissement des clubs français. Ils vont vendre de plus en plus et auront un effectif moins fort", termine l'expert Sport Buisness.
"Lorsqu’on achète une casserole, on ne s’attend pas à avoir une passoire"
Dans une interview accordée au Figaro, Brice Daumin, directeur général de DAZN France, se défend de la stratégie du diffuseur britannique. "Nous avons été un peu surpris de la manière dont le plus gros diffuseur de la Ligue 1 est traité. On ne résout jamais rien devant un tribunal", affirme-t-il.
Il dénonce également un abandon de la lutte contre le piratage : "Les efforts ne sont pas suffisants. L’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, ne travaille pas les week-ends. En Angleterre, on est capable de bloquer 10.000 liens en deux jours, en Italie, c’est 18.000. Et l’Arcom, c’est 5.000 par an. Lorsqu’on achète une casserole, on ne s’attend pas à avoir une passoire".
Brice Daumin indique aussi que la LFP n'a pas respecté ses engagements sur la promotion et la communication de la Ligue 1 : "Nous sommes convaincus que le produit Ligue 1 doit s’améliorer pour devenir plus attractif. Nous sommes persuadés que l’on peut faire beaucoup mieux en termes de promotion et d’attractivité de la Ligue 1. Il faut améliorer et réinventer le produit Ligue 1".
Toutefois, DAZN souhaite continuer en France avec la Ligue 1. "Ce n'est pas parce que nous n'avons pas 1,5 million d'abonnés en décembre 2025 [le diffuseur serait actuellement à 500.000, NDLR] que nous voulons activer la clause dénonçant notre contrat avec la Ligue. Nous n'avons aucune intention de partir. Nous sommes là pour longtemps, comme dans chaque pays où nous avons acquis des droits", rassure Brice Daumin.
La LFP fait "valoir ses droits"
Du côté de la LFP, son président, Vincent Labrune tente de calmer les esprits. "Nous poursuivons les discussions avec notre partenaire DAZN pour trouver une issue rapide à cette situation que nous subissons", déclare l'ancien président de l'Olympique de Marseille.
Dans un communiqué, la LFP se défend de sa décision de saisir le juge des référés afin d'obtenir de DAZN les 35 millions d'euros restants. "La Ligue de Football Professionnel (LFP) a pris acte du refus infondé de DAZN d'honorer ses engagements financiers".
"La LFP respecte, pour sa part, scrupuleusement l'ensemble de ses engagements contractuels et mettra tout en œuvre pour faire valoir ses droits. La LFP défendra fermement les intérêts des clubs professionnels français, tout en espérant une issue amiable à ce [différend, NDLR] qu'elle espère temporaire".