Canal + songe à déprogrammer son Grand Journal au printemps, selon les informations du site Puremedias diffusées mardi. Elle pourrait être remplacée par une version rallongée du Petit Journal,selon les informations d'Europe 1. Cette émission qui, comme Nulle Part Ailleurs en son temps, a fait les grandes heures de la chaîne cryptée, arrive au stade terminal d'une maladie qui la gangrène depuis des années.
Acte 1 : le départ de Denisot
Chic et glamour. Vitrine de la chaîne, appel pour attirer de nouveaux abonnés, l'émission lancée en 2004 par Michel Denisot a su séduire pendant plusieurs années les téléspectateurs dans cette case de l'avant soirée. La formule diffusée en clair, tient alors sous la forme d'un talk show mêlant actualité et divertissement, avec un esprit de bande, une part belle faite à l'humour et une image chic et glamour. En octobre 2008, Michel Denisot alors aux manettes bat un record d'audience en recevant Johnny Hallyday sur son plateau : 2,7 millions de téléspectateurs sont au rendez-vous.
Des premières critiques. Mais après neuf ans à l'antenne, les audiences baissent en 2012-2013. "Cette année là, Canal + est contestée pour sa présence à Cannes. Elle est considérée comme trop people, trop bling bling", rappelle Eva Roque, spécialiste médias pour Europe 1. "La chaîne cherche à renouveler avec des visages plus jeunes, des femmes". Michel Denisot, lui même songe à partir, après que des coups de feux sont entendus sur la Croisette alors qu'il présente son émission en direct de Cannes. "Ça m’a marqué", avait-il confié au Parisien, quelques mois plus tard. L'animateur présente son dernier Grand Journal le 28 juin 2013. "Il est parti alors que son émission réalisait de bonnes audiences. Il rivalisait avec C à vous, l'émission de France 5, diffusée également au même horaire", rappelle Eva Roque.
De Caunes sans Garcia. Pour le remplacer en septembre 2013, la chaîne fait appel à Antoine de Caunes : "Il était légitime, il est arrivé avec l'image de Nulle part ailleurs", précise Eva Roque. Mais le comédien, ancien acolyte de José Garcia aux plus grandes heures de Nulle Part Ailleurs, n'arrive pas à lui seul à rebooster les audiences qui s'érodent (en moyenne 1 million de téléspectateurs). "On avait en tête l'esprit de Nulle part ailleurs, or ce n'est plus la même époque. Antoine de Caunes n'était pas là, non plus, pour faire des facéties. On a beaucoup trop attendu de lui. Il ne pouvait pas tout porter", analyse la spécialiste médias.
Acte 2 : la marque sans le fond
Un nouveau conducteur, un nouveau producteur. En 2015, l'homme d'affaires Vincent Bolloré, après être entré au conseil d'administration du groupe Canal + en 2012, prend le contrôle de la chaîne et remodèle Le Grand Journal. Il remplace la société de production KM de Renaud Le Van Kim par une société de production interne à la chaîne. Il dit également bye bye à Antoine de Caunes et place aux commandes du Grand Journal, Maïtena Biraben, une figure de la chaîne. La présentatrice et productrice est un visage connu des téléspectateurs puisque entre 2012 et 2015, elle a animé le magazine Le Supplément.
Dans Le Grand Journal version Biraben, on trouve toujours une partie dédiée à l'actualité, avec une interview et un journal intégré dans l'émission, "mais sans l'esprit de troupe". "Ce changement intervient à un moment où l'info associée au divertissement commence à être critiquée, par les téléspectateurs comme par les politiques qui cherchent à contrôler toujours plus leur communication. Ce n'est toléré que chez Laurent Ruquier (dans On n'est pas Couché sur France 2) car ils ont davantage le temps de s'exprimer", pointe Eva Roque.
"lls se trompent". Avec l'arrivée de Maïtena Biraben, l'émission subit un "extreme makeover", entendez un ravalement, à l'exception de sa façade. Elle change de producteur, elle change de conducteur, mais ne change pas de nom. "Ils ont vidé l'émission de son essence en la transformant, et ils ont cru que la marque Grand Journal suffirait à embarquer les gens", explique Eva Roque. "C'est là où ils se trompent. Ils n'ont pas senti l'évolution du talk show, même si c'est facile à dire a posteriori." Résultat : les audiences chutent encore. Seuls 760.000 spectateurs en moyenne restent fidèles à l'émission.
Acte 3 : la saison de trop
Fini l'actu. Le coup de grâce est porté en septembre 2016. Après le départ de Maïtena Biraben, le groupe Canal + annonce l'arrivée du journaliste Victor Robert aux manettes d'une formule une fois encore revisitée. Fini l'actu, place à la culture. L'émission fait la part belle à la littérature, au cinéma et à la musique. "Pour Vincent Bolloré, Le Grand Journal est un moyen de faire la promo d'Universal, géant de l'industrie musicale, qui fait partie de la même maison. C'est symptomatique de ce que le groupe veut faire de Canal +. Une chaîne axée sur le cinéma, le sport et les séries", analyse Eva Roque. "L'idée est de créer un HBO, cette chaîne américaine payante qui diffuse des séries et des films, à la française."
Exit le Zapping, trop politique au goût de Bolloré. Quant aux Guignols, ils arrivent dans une version édulcorée et en cryptée. "Le groupe Canal a tué les Guignols en les sortant de l'actualité. La caricature de Chirac, Sarkozy ou Hollande était drôle, celle de Kim Kardashian l'est beaucoup moins. Il n'y a pas d'identification", décrypte la journaliste médias.
Pas d'identité forte. L'humour irrévérencieux subit le même sort. "C'était la marque de fabrique de la chaîne. Ils ont échoué là dessus en supprimant les pastilles comme la boîte à question, le SAV, qui fonctionnaient bien. " Le Grand Journal peine aussi à affirmer sa trempe, quand C à Vous sur France 5, Touche pas à mon Poste sur C8 ou encore Le Petit Journal que Yann Barthès a recréé sous le nom de Quotidien sur TMC, possèdent tous une identité forte. "Comment qualifier LeGrand Journal ? On ne sait pas trop", s'interroge Eva Roque.
Crypté ou non ? Sur la forme aussi, Canal + multiplie les erreurs. A la rentrée 2016, Le Grand Journal est diffusé pour partie en clair et pour partie en crypté. Les horaires ont également été changés. "On peut avoir des bons présentateurs, des bons chroniqueurs, une émission bien produite, mais en changeant les horaires, et en passant une partie en cryptée, on peut planter un programme", assène Eva Roque. Fin septembre, Canal + décide finalement de diffuser toute l'émission en clair, et de réintégrer les Guignols. "Ce n'est pas possible de faire ça à la télévision. Tu ne peux pas fidéliser les téléspectateurs sans leur proposer de rendez-vous régulier", estime la journaliste.
Six mois après les débuts de cette nouvelle formule, les audiences n'ont jamais été aussi faibles. Lundi, seulement 730.000 téléspectateurs étaient devant leur écran. Et la mort du Grand Journal est proche. "Je ne crois pas que Vincent Bolloré l'a souhaité", conclut Eva Roque. "Mais sans doute n'a-t-il rien fait pour le sauver. "