C’est un vrai bouleversement du paysage audiovisuel. Après être passés de TF1 à Canal+ puis à beIN Sports, les droits TV de diffusion de la Ligue des Champions sont désormais la propriété de SFR Sport, petite chaîne disponible presque uniquement pour les abonnés de l’opérateur au carré rouge. La maison-mère Altice aurait déboursé 350 millions d’euros pour s’offrir ce joli cadeau ainsi que la Ligue Europa. Europe1.fr fait le point sur les conséquences de cette attribution qui a pris de court les fans de football.
SFR sport y'a un an ils n'existaient même pas aujourd'hui ils ont les droits exclusifs de la LDC, on dirait la trajectoire d'Emmanuel Macron
— Winston R.™ (@winston91) 11 mai 2017
- 350 millions, c’est beaucoup ?
Selon les informations de L’Équipe, SFR a déboursé 350 millions d’euros par saison pour s’offrir les droits exclusifs pour la retransmission de la Ligue des champions et de la Ligue Europa sur la période 2018-2021. Sur cette somme, 315 millions seraient destinés à la C1 et 35 millions à la C3. Des prix largement supérieurs au niveau des droits précédents. De 2015 à 2018, BeIN Sports et Canal+, codétenteurs des droits, payaient respectivement 90 et 50 millions d’euros par saison pour la Ligue des Champions, soit un total de 140 millions. Quant à la Ligue Europa, elle coûtait 25 millions par an à beIN Sports et M6/W9.
Cette acquisition surprise place SFR Sport parmi les géants de la retransmission du football en Europe. La France occupe désormais la deuxième place en Europe dans le classement des pays où les droits de la Ligue des Champions sont les plus chers, derrière le Royaume-Uni, où BT Sports déboursera 467 millions d’euros par saison de 2018 à 2021. La France dépasse l’Italie et les 230 millions annuels payés par Mediaset de 2015 à 2018. A titre de comparaison, l’Allemagne est loin derrière avec 54 millions par an entre 2012 et 2015.
- Pourquoi SFR Sport est-elle entrée dans la danse ?
L’annonce de l’UEFA de confier les droits de la Ligue des Champions et de l’Europa League à SFR Sport a de quoi surprendre. La chaîne SFR Sport 1, entièrement dédiée au football, ne représente que 0,1% de part d’audience depuis son lancement en août. Mais en quelques mois, le nouveau bébé du patron d’Altice (la maison-mère de SFR) Patrick Drahi a fait parler d’elle en obtenant les droits exclusifs de la Premier League anglaise (300 millions d’euros pour trois saisons 2016-2019) et de la première division portugaise. Le bouquet de cinq chaînes diffuse également le rugby anglais, un peu de ProA de basket, du tennis féminin, etc. Ensuite, à grands renforts de vidéos sur les réseaux sociaux, SFR Sport s’est faite un nom.
La #remontadajax ou comment perdre coach @rollcourbis dans #LeVestiaire. L'instant totalement LOL du soir pic.twitter.com/Oj5gzkk9bT
— SFR Sport (@SFR_Sport) 10 mai 2017
Ce coup d’éclat s’inscrit donc dans une logique d’expansion des contenus. "Cette étape souligne l'ambition d'Altice de continuer à investir dans les programmes les plus puissants qui rassemblent les publics les plus larges", a déclaré le PDG d'Altice Michel Combes dans un communiqué. En plus, SFR porte un sacré coup à ses concurrents Orange, Free et Bouygues puisque SFR est disponible sur la télévision uniquement pour les abonnés de l’opérateur. L’acquisition de la Ligue des Champions pourrait forcer ses concurrents à signer un accord afin de diffuser SFR Sport sur leurs box respectives.
Cette attribution est un pari sur l'avenir pour SFR qui espère ainsi attirer de nouveaux clients. L'achat des compétitions européennes de football s'inscrit dans un cadre financier positif pour Altice et sa filiale SFR qui ont vu leur chiffre d'affaires croître respectivement de 3,2% et 0,6% au premier trimestre.
- Quelles conséquences pour Canal+ et BeIN Sports ?
Jusqu’ici, Canal+ et BeIN Sports se partageaient la diffusion de la Ligue des Champions. La chaîne cryptée diffusait une affiche par journée et le réseau qatari disposait d’une affiche ainsi que du reste de la compétition. La finale de la compétition devant obligatoirement être diffusée en clair, Canal+ diffusait le match sur sa petite sœur C8.
Cette acquisition "fragilise énormément BeIN Sports et Canal+", explique Pierre Rondeau, économiste du sport, sur Europe 1. "Depuis sa création il y a cinq ans, BeIN Sports a accumulé une dette de 1,1 milliard d’euros. La chaîne n’a pas réussi à rentrer dans ses frais. Les dirigeants avaient tablé sur l’obtention de six millions d’abonnés mais en 2016 ils n’en avaient que trois millions", détaille l’économiste. Dans un mail adressé aux salariés de la chaîne, le PDG Yousef Al-Obaidly a réagi à l’annonce avec amertume : "Nous regrettons vivement cette décision et nous sommes surpris des conditions dans lesquelles ces droits ont été concédés".
Quid de Canal+ ? "La situation est différente, Canal est un groupe avec des chaînes internationales, un studio de cinéma, le câble avec Canalsat. La chaîne Canal+ perd de l’argent mais le groupe est dans le vert avec un bénéfice de 450 millions d’euros en 2015", souligne Pierre Rondeau. Reste que le vaisseau amiral de Canal pourrait pâtir du coup de SFR Sport en voyant un certain nombre d’abonnés quitter le navire pour suivre la Ligue des Champions.
- Où va l’argent des droits TV ?
Les montants astronomiques liés aux droits de diffusion TV sont centralisés dans le budget l’UEFA. En 2016/2017, les revenus de l’organisation ont atteint 2,35 milliards d’euros. 282 millions sont consacrés à l’organisation et à l’administration, 200 millions servent aux paiements de solidarité et 149 millions sont conservés par l’UEFA.
Au final, ce sont 1,3 milliard d’euros qui sont destinés aux clubs engagés en Ligue des Champions et en Super Coupe de l’UEFA. Dans le détail, 760 millions vont aux 32 clubs engagés en Ligue des Champions (le vainqueur empochera 54,2 ou 55,2 millions selon qu’il s’agit du Real Madrid ou de la Juventus Turin). Par ailleurs, 500 millions d’euros sont alloués aux clubs engagés en Ligue des Champions en fonction de la valeur de chaque marché télévisuel.
Enfin, les droits TV financent les paiements de solidarité. 80 millions d’euros vont aux clubs éliminés lors des tours de qualification et 117 millions sont donnés aux associations de football européennes pour le développement de leurs clubs (80% pour les pays ayant un club engagé, 20% pour ceux qui n’en ont pas).
- Comment regarder SFR Sport ?
C’est la question qui agite l’esprit des fans de football. Afin de ne pas se retrouver privés des deux prestigieuses compétitions européennes, les amateurs de ballon rond vont devoir sortir le portefeuille. SFR Sport est disponible sur les box de SFR (selon le forfait choisi) mais aussi accessibles aux clients Red (option payante à 9,99 euros par mois) et aux possesseurs de la Box TV Plus de LA Poste mobile (le bouquet SFR Sport est inclus).
Pour les autres, cela se complique. Pour regarder les matchs de Ligue des Champions à la télévision, les abonnés Orange, Free et Bouygues doivent espérer la signature d’un accord de diffusion avec SFR. Dans ce cas, ils pourraient souscrire une offre payante à SFR Sport. Mais rien n’indique qu’une telle éventualité se produise. Les fans de football devront donc se rabattre sur une dernière solution : s’abonner à l’offre 100% digital à 9,99 euros par mois qui permet de regarder les cinq chaînes du bouquet SFR Sport sur ordinateur, tablette et smartphone. Maigre consolation, la finale sera toujours en clair puisque c’est une obligation légale.
L'UFC-Que Choisir s'inquiète
L'association de protection des consommateurs UFC-Que Choisir a réclamé jeudi une régulation de l'accès aux chaînes sportives sur les box après l'octroi à SFR des droits de diffusion de la Ligue des Champions et de l'Europa League pour 2018 à 2021. L'association "s'alarme de cette course vers l'acquisition à grands frais de contenus sportifs par un fournisseur d'accès à internet" qui risque de "priver certains consommateurs d'un accès de qualité aux contenus sportifs" et "est susceptible de mettre hors-jeu la concurrence dans le secteur de l'accès à internet". L'UFC-Que Choisir réclame donc une régulation du marché de gros de l'accès aux chaînes sportives, "pour permettre à l'ensemble des abonnés à internet d'accéder à ces chaînes".