The Voice - Eÿs chante en arabe aux auditions : «J'ai pendant longtemps refusé de le faire car j'ai été harcelée en raison de mes origines»

Pour son passage aux auditions à l'aveugle, la jeune femme de 24 ans a interprété une version revisitée de "Desert Rose" avec des passages en arabe. Une manière de se réapproprier ses origines tunisiennes, qu'elle avait reniées après avoir été victime de racisme à l'école primaire.
Eÿs a réalisé son rêve de petite fille ce samedi soir en participant aux auditions à l'aveugle de The Voice. Sur la scène du concours de chant, face aux fauteuils rouges qui se sont rapidement retournés, la jeune femme d'origine tunisienne s'est présentée telle qu'elle était, dans toute sa richesse et sa diversité, en interprétant Desert Rose de Sting dans plusieurs langues : le français, l'anglais et enfin, l'arabe, cette langue qu'elle a pendant longtemps refusé de parler, traumatisée par le racisme subi à l'école primaire. À 24 ans, Eÿs n'a plus peur d'être qui elle est, et le chante même haut et fort. Interview.
Comment avez-vous vécu votre passage aux auditions à l'aveugle ?
Avant de monter sur scène, j'étais comme une enfant de cinq ans. J'avais besoin d'être câlinée, rassurée. Dans les coulisses, ma coach vocale, Nathalie, m'a dit : "Eÿs, tu es capable. Ça fait des années qu'on travaille ensemble. C'est ton moment." Je me suis dit qu'elle avait raison... Pardon, je vais pleurer. Mais c'était mon rêve d'enfant de passer ces auditions. Je ne l'ai pas fait pour être connue, ni pour avoir des likes sur les réseaux sociaux. Je l'ai fait pour moi, pour me prouver que j'en étais capable, et me présenter au public français telle que je suis vraiment.
Est-ce pour cette raison que vous avez chanté Desert Rose dans trois langues différentes, le français, l'anglais et l'arabe ?
Oui, j'ai vraiment pu me présenter telle que je suis avec cette version revisitée de Desert Rose. J'ai chanté la première partie en arabe, car j'ai des origines tunisiennes, puis, ayant vécu aux États-Unis, j'ai continué en anglais, et enfin, j'ai terminé en français, puisque je suis française.
Avez-vous hésité avant de faire cette proposition artistique originale mais aussi risquée ?
Oui, je n'ai pas tout de suite été convaincue par cette version. Je n'étais pas sûre d'être prête à chanter en arabe. J'ai été harcelée en CM2 à cause de mes origines tunisiennes, c'était très violent. On m'avait par exemple jetée dans une poubelle avec des yaourts et du papier toilette, en me disant : "Les Arabes, c'est à la poubelle". Après ça, j'ai renié qui j'étais, notamment en refusant de parler et de chanter en arabe. Je voulais absolument montrer que j'étais française et que je m'exprimais bien.
À l'époque, vous n'aviez pas parlé à vos parents du racisme que vous subissiez ?
J'ai gardé tout pour moi pendant un an et demi, jusqu'au jour où ma mère a vu que j'étais recouverte de bleus. Elle m'a demandé ce qui se passait, et pourquoi je ne voulais plus aller à l'école alors que j'adorais étudier. J'ai fondu en larmes et je lui ai tout raconté. Ma mère a débarqué dans mon établissement à Draguignan, et après ce moment-là, je n'ai plus jamais eu de problèmes. Mais j'étais traumatisée par ce que j'avais vécu.
Avez-vous guéri depuis ?
Oui, mais uniquement depuis cette année et ma participation à The Voice. J'avais voulu passer les castings il y a deux ans, mais quelque chose n'allait pas. J'étais trop sensible, trop fragile. J'ai donc fait un travail sur moi-même. Mon grand-père est décédé entre-temps, et ça a été un électrochoc. Je me suis dit : "Mais en fait, la Tunisie fait partie de moi, il faut que je m'accepte". J'y suis enfin arrivée, notamment grâce à la musique.
Et vous voilà sur le plateau de The Voice... Vous vous êtes agenouillée en plein milieu de votre audition à l'aveugle. Que s'est-il passé ?
Je tremblais énormément à cause de mes émotions. Je n'ai trouvé qu'une seule façon de chanter : m'ancrer au sol, accroupie de cette manière. J'ai eu besoin de me reconnecter à mon enfant intérieur. Je savais que si je ne le faisais pas, la note, qui était quand même sacrément haute, ne passerait pas. Je me suis dit : "Je me fiche des caméras, je me fiche de la production, il faut que je pense à moi, c'est mon moment". J'ai fermé les yeux, je me suis ancrée dans le sol et j'ai passé la note. Je crois que j'ai réussi, mais je ne me souviens plus trop (Rires).
Vous avez en tout cas convaincu deux coachs, Florent Pagny et Zaz...
Oui, j'étais tellement heureuse quand je les ai vus se retourner. J'ai appris à chanter avec les chansons de Zaz quand j'étais toute petite. Et Florent Pagny est un chanteur à voix, comme moi.
C'est donc lui que vous avez choisi. Aucun regret par rapport à Zaz ?
J'ai vraiment énormément hésité, car elle dégage beaucoup de bienveillance. Mais je pense avoir fait le bon choix avec Florent Pagny, qui a tellement d'expérience. Il va pouvoir me comprendre et me guider sur les placements vocaux, notamment pour les notes très hautes.