"Le 7 janvier 2015 est la date rouge sang qui sépare deux vies" : trois ans après l'attentat qui a décimé sa rédaction, Charlie Hebdo revient dans un numéro anniversaire sur ce traumatisme qui continue de bouleverser profondément son fonctionnement. Escorte policière permanente, avalanche de menaces sur les réseaux sociaux, coût très élevé pour le journal de la sécurisation permanente… Ce numéro à paraître mercredi dévoile les conséquences de l'attentat sur les conditions de travail au jour le jour. Sur la Une, un dessin de Riss montre la porte d'un bunker où est inscrit Charlie Hebdo, et où quelqu'un dit à travers un fenestron entrouvert : "Le calendrier de Daech ? On a déjà donné."
La Une de #CharlieHebdo
— Christophe Grébert (@grebert) 2 janvier 2018
3 ans déjà#JesuisCharliepic.twitter.com/NmK4l5bk4T
Chiffres d'affaires en chute libre. Riss, directeur de la rédaction, déplore notamment le coût très lourd de la protection des locaux, "entre 1 et 1,5 million d'euros par an, entièrement à la charge du journal" soit l'équivalent de près de 800.000 exemplaires par an. "Est-il normal pour un journal d'un pays démocratique que plus d'un exemplaire sur deux vendus en kiosque finance la sécurité des locaux et des journalistes qui y travaillent ?", regrette Riss dans son éditorial, estimant que la liberté d'expression "est en train de devenir un produit de luxe". Le chiffre d'affaires du journal est tombé à 19,4 millions d'euros en 2016, après un record en 2015 (plus de 60 millions d'euros), selon des chiffres de BFM Business, confirmés à l'AFP.
Récit de la tuerie et de ce qu'elle a changé. "Le 7 janvier 2015 nous a propulsés dans un monde nouveau, fait de policiers en armes, de sas et de portes blindées, de trouille, de mort. Et cela en plein Paris, et cela dans des conditions qui n'honorent pas la République française. Est-ce qu'on se marre quand même ? Oui", raconte le journaliste Fabrice Nicolino dans un long récit intitulé "Ce que ces trois années ont vraiment changé". "Le 7 janvier 2015 est la date rouge sang qui sépare deux vies. Avant, il y a les blagues de Charb qui nous faisaient pleurer de rire, les petits gâteaux de Cabu, déposés avec grâce sur la table, les mots coquins de Wolin, l'arrivée tonitruante de Tignous, le rire pleines dents de Bernard, les cris d'Elsa. Et depuis, un deuil que nous portons tous, et qui ne finira jamais", écrit-il.
Certains dessinateurs sont protégés en permanence par des policiers armés. L'un d'eux décrit ses rendez-vous auquel il doit se rendre en voiture blindée, un autre les services de déminage qui font exploser un colis suspect devant chez lui. D'autres papiers reviennent sur les menaces dont Charlie fait régulièrement l'objet, notamment sur les réseaux sociaux, qui "continuent à relayer les appels à des attaques physiques contre le journal, le forçant parfois à porter plainte". Très scrutées, les Unes de Charlie, devenu un symbole bien au-delà des frontières françaises, font souvent grincer des dents. Dernièrement, le journal a reçu des menaces après une couverture sur la maladie de Johnny Hallyday, et s'est empoigné avec Médiapart au sujet de l'islamologue controversé Tariq Ramadan.
Quel avenir ? Dans ce numéro, Charlie Hebdo interpelle enfin le président de la République : l'Etat assure la protection de certaines personnes mais pas du lieu de travail. Si les ventes record enregistrées en 2015 ont permis de financer la sécurisation des locaux, que se pas sera-t-il lorsque les réserves financières seront épuisées ?
Découvrez le reportage de Sébastien Guyot dans "Tous Terrains" samedi 6 janvier à 13h sur Europe 1 :