Il était perçu comme l'une des figures montantes du journalisme. Mais en quelques jours, la réputation de Mehdi Meklat a pris du plomb dans l'aile. En cause : des tweets datant de 2001 à 2015, où l'on peut lire un flot d'insultes et de propos racistes, homophobes et sexistes, ont été exhumés par des internautes. Europe 1 vous aide à faire le point sur cette affaire.
- Qui est Mehdi Meklat ?
À seulement 24 ans, Mehdi Meklat a déjà eu plusieurs vies. Originaire de Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, il rencontre au lycée celui qui deviendra son acolyte d'écriture, Badroudine Saïd Abdallah. Avec lui, il démarre en 2008 une collaboration avec le Bondy Blog, un média en ligne "qui a pour objectif de raconter les quartiers populaires". Rapidement, le duo, baptisé les Kids, se fait repérer par la journaliste Pascale Clark, qui leur ouvre les portes de France Inter, où ils exerceront comme chroniqueurs de 2010 à 2015. Dans la foulée, le binôme réalise des vidéos pour Arte, puis un documentaire sur la cité des 4000 de La Courneuve. Toujours en 2015, Mehdi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah publient leur premier roman, Burn out, inspiré de l'histoire vraie de Djamal Chaar, qui s'était immolé devant une agence Pôle emploi le 13 février 2013. À chaque fois, les critiques saluent la plume des jeunes auteurs. Ils sont alors régulièrement invités sur les plateaux de télévision, dans les studios de radio ou dans les colonnes des journaux.
- Que lui reproche-t-on ?
L'affaire Mehdi Meklat éclate vendredi 17 février, après son passage, la veille, sur le plateau de La Grande Librairie sur France 5. Le journaliste et écrivain vient y présenter son nouveau livre, Minute. Là, de nombreux internautes exhument d'anciens tweets que Mehdi Meklat publiait à l'époque sous le pseudo de "Marcelin Deschamps". Leur contenu est extrêmement choquant, souvent raciste, antisémite et misogyne. "Ben Laden me manque" ; "Regrette que Ben Laden soit mort. Il aurait pu tout faire péter" ; "Pourquoi les juifs ont le droit de prendre le métro aussi ?", pouvait-on lire sur son compte Twitter, dans une période comprise entre 2010 et 2015. Depuis 2016, Meklat tweete sous son vrai nom, en utilisant le même compte. Depuis la polémique, il a supprimé tous ses tweets d'avant février 2017. Mais plusieurs internautes ont eu le temps d'en faire des captures d'écran, comme l'auteur de bandes dessinées et réalisateur Joann Sfar :
Auteur à @EditionsduSeuilpic.twitter.com/iI6N9mEtVU
— Sfar Joann (@joannsfar) 18 février 2017
Je découvre tout ça ce matin. Il semble que c'est authentique. Je trouve ça inexcusable quand on se veut représentant de la jeunesse pic.twitter.com/AMreVQHKT6
— Sfar Joann (@joannsfar) 18 février 2017
- Quelles sont ses explications ?
Submergé par les critiques, Mehdi Meklat a été contraint de s'expliquer. D'abord sur Twitter, où l'écrivain a posté quatre messages samedi. "Jusqu'en 2015, sous le pseudo 'Marcelin Deschamps', j'incarnais un personnage honteux raciste antisémite misogyne homophobe sur Twitter", avance-t-il. "Les propos de ce personnage fictif ne représentent évidemment pas ma pensée et en sont tout l'inverse". "Je m'excuse si ces tweets ont pu choquer certains d'entre vous : ils sont obsolètes", écrit Meklat. De courtes explications qui n'ont pas suffi à éteindre le feu des critiques. C'est donc plus longuement sur sa page Facebook que Mehdi Meklat a choisi d'apporter sa version des faits, avançant la thèse d'une forme de schizophrénie à but artistique.
" Grisé par cette liberté infinie, Mehdi n’a pas su contrôler Marcelin "
"En 2011, j’avais 19 ans […] Twitter était alors un Far West numérique. Un nouvel objet, presque confidentiel, où aucune règle n’était édictée, aucune modération exercée. J’ai trouvé un pseudo : Marcelin Deschamps. […] Mais rapidement, il est devenu un personnage de fiction maléfique. Il n’était pas 'dans la vie réelle', il était sur Twitter. Il se permettait tous les excès, les insultes les plus sauvages. Par là, il testait la notion de provocation", assure le journaliste. "Rien sur ce réseau social naissant n’était mis en œuvre pour arrêter les logorrhées numériques ignobles. Marcelin Deschamps était absolument immoral. Il était honteux, misogyne, antisémite, raciste, islamophobe et homophobe […] Grisé par cette liberté infinie, Mehdi n’a pas su contrôler Marcelin", avoue-t-il.
- Comment réagissent ses anciens et actuels collaborateurs ?
Dans ce long message posté sur Facebook, Mehdi Meklat laisse entendre que plusieurs personnes à Radio France savaient qu'il était l'auteur caché de ces tweets. Il écrit : "Parfois, dans les couloirs de la Maison de la Radio où nous travaillions avec Badrou, on me demandait si 'j'étais Marcelin Deschamps'". Samedi, son ancienne mentor à France Inter Pascale Clark lui a apporté son soutien sur Twitter, assurant qu'il n'avait été à l'antenne "que poésie, intelligence et humanité".
Les comiques font ça à longueur d'antenne et tout le monde applaudit
— Pascale Clark (@PascaleClark) 18 février 2017
De son côté, l'hebdomadaire Les Inrocks, qui l'a porté en une début février aux côtés de son acolyte Badrou et de l'ancienne Garde des Sceaux Christiane Taubira, a voulu balayer les soupçons de complaisance qui lui ont été adressés par plusieurs internautes. Le directeur du magazine, Pierre Siankowski, a adressé un message direct au journaliste : "Les excuses qu'on attend de Mehdi Meklat à la suite de cette histoire […] doivent explorer et éclaircir la part d'ombre qui sous-tend ses tweets honteux". Christiane Taubira, qui avait alors été interviewée par le duo d'auteurs, a elle aussi tenu à réagir dans un post Facebook.
Sur Twitter, le Bondy Blog a rappelé qu'il ne "pouvait cautionner des propos antisémites, sexistes, homophobes, racistes, ou tout autre propos discriminatoires ou stigmatisants, même sur le ton de l'humour", et ajoute que son chroniqueur s'était expliqué et excusé.
- Que risque Mehdi Meklat ?
Dans un communiqué publié lundi soir, l'association de lutte contre le racisme, la Licra, a annoncé "avoir saisi la justice" en transmettant l'ensemble des messages incriminés "au procureur de la République de Paris". L'affaire pourrait faire écho à une autre, jugée en septembre dernier. Anne-Sophie Leclère, ancienne candidate du Front national aux municipales dans les Ardennes, avait été condamnée à 3.000 euros d'amende avec sursis pour "injure publique raciale", après avoir comparé l'ancienne ministre de la Justice Christiane Taubira à un singe.