Guerre de fils. "Tal calzu, tal magliolu. Tal babbu, tal figliolu (tel cep, telle bouture. Tel père, tel fils)", dit-on en Corse. À Bastia, la maxime dicte même la politique de la ville depuis un demi-siècle. Emile Zuccarelli, le maire radical gauche depuis 1989, est en effet le fils de Jean Zuccarelli, maire de 1967 à 1989. Et il vient de passer le flambeau à son fils, Jean deuxième du nom, 49 ans, désigné pour mener la bataille des municipales en son nom, sous les couleurs du PRG. Mais la dynastie pourrait bien prendre fin le 30 mars 2014, au soir du second tour des municipales.
Car Jean Zuccarelli deuxième du nom affronte cette fois un adversaire de taille : le nationaliste Gilles Simeoni, 46 ans, fils d'Edmond, lui même considéré comme le "père" du nationalisme corse. Selon un sondage pour Opinion Way, Gilles Simeoni apparaît le mieux placé pour l'emporter au second tour, excepté en cas de quadrangulaire. Bastia verrait alors un grand nom chuter au profit d'un autre.
>>> Portraits croisés de deux familles bien de chez elles qui se disputent la deuxième ville de l'île.
Ironie du sort : dans son testament, le père de Jean Zuccarelli (1er du nom) avait demandé à ses enfants de ne jamais faire de politique, comme le racontait son fils dans les colonnes de Nice Matin, en décembre 96. C'est peu dire qu'il n'a pas été écouté. Dans la famille politique Zuccarelli, donnez-moi d'abord l'arrière grand oncle, Jean-François, maire pendant 50 ans de... Sainte-Lucie-de-Mercurio, en Haute-Corse. Car bien avant Bastia, c'est ce village de 95 âmes qui fut le berceau de la dynastie. Jean Zuccarelli premier du nom, grand père de l'actuel candidat, y est d'ailleurs entré en politique lorsqu'il y a été élu maire en 1935, reprenant ainsi le flambeau de son oncle. Il restera le premier magistrat du village jusqu'à en 1945, passant alors le flambeau à son frère Charles.
À Bastia, pour être précis, c'est Émile Sari, beau-père de Jean Zuccarelli, et son oncle Auguste Gaudin, qui ont été les premiers maires bastiais de la famille, au début du 20e siècle. Mais c'est bien Jean qui a vraiment fait connaître le nom Zuccarelli, dans la ville où il a été maire radical de gauche de 1968 à 1989. À sa mort, en décembre 1996, se tournait "une grande page de la vie politique bastiaise et insulaire" écrivait le quotidien Corse Matin à l'époque, lui dressant un portrait flatteur : "Homme politique et homme de passion, il s'est intéressé jusqu'au bout à sa ville et ses habitants. Une affection mutuelle qui explique en grande partie sa longévité politique".
"Mon nom est synonyme de confiance"
Une longévité politique que connaît également son fils, Emile, maire de 1989 à aujourd'hui. Et qu'espère bien connaître "Jean II", actuel candidat. Pour expliquer cette longévité, la famille revendique un bilan fait d'écoute des habitants et d'essor culturel, économique et patrimonial de la ville. "Mon nom est synonyme de confiance, à moi de m'en montrer digne !", argue l'actuel candidat PRG au Point, reconnaissant toutefois que l'étiquette de "fils à papa" lui colle à la peau.
D'autant que l'étiquette ne semble plus aussi glorieuse que par le passé. Emile Zuccarelli, qualifié de "monarque" par l'Express, traîne une réputation d'autoritarisme poussé. Et les opposants à la famille sont nombreux à dénoncer un système clientéliste, construit autour d'un puissant office HLM, de la répartition des aides financières et des postes à la mairie. Et ceux qui en sont écartés tirent à boulets rouges. La candidature de Jean II Zuccarelli est une "candidature d'appareil pour un héritier sans bilan", déplore ainsi au Monde le dissident François Tatti, adjoint chargé des travaux et longtemps considéré comme l'héritier d'Emile Zuccarelli, avant qu'il n'adoube son fils.
"Pour tout héritage, des visites en prison"
Ce système "clientéliste qui dure depuis 50 ans", le nationaliste Gilles Simeoni en fait son cheval de bataille. Le favori des sondages dénonce ainsi un bilan "sévère en termes de gaspillage d'argent public et de respiration démocratique". Et il met un point d'honneur à souligner la différence entre sa famille et celle des Zuccarelli. "Moi, mon père (Edmond) ne m'a pas fait d'autres legs que son engagement au service de la Corse. Et pour tout héritage, comme beaucoup de jeunes Corses à l'époque, je n'ai eu droit qu'aux visites aux parloirs des prisons où il était incarcéré ainsi que mon oncle", raconte le candidat à l'agence Sipa.
La famille de Gilles Simeoni, elle, semble en effet marquée par le nationalisme et la justice. Le candidat nationaliste, d'abord, s'est lui-même illustré en tant qu'avocat d'Yvan Colonna, nationaliste condamné à perpétuité pour le meurtre du préfet Erignac. Et son frère, Marc, a également été condamné à trois ans de prison pour avoir hébergé le même Yvan Colonna (ce qu'il a, toutefois, toujours nié).
"Un problème avec l’ombre de son père"
Mais la "star" de la famille, c'est Edmond, le père de Gilles et Marc. Avec son frère Max, qu'il considère alors comme un modèle, ce médecin de formation et de passion (il a préféré la médecine à une carrière de footballeur) forme l’Action régionaliste corse (ARC), en 1967, à 33 ans. Celui qui se perçoit comme "dans la lignée de Gandhi, Martin Luther King et Mandela" prône aujourd'hui la non-violence et se détache des mouvements armés, comme le FNLC. Pourtant, le 19 novembre 1975, à Aléria, il est le chef d'orchestre d'une tragédie considérée comme le moment créateur du mouvement nationaliste contemporain.
Avec 12 hommes armés de fusils de chasse, il occupe alors une cave viticole appartenant à un important chef d'entreprise d'origine pied-noir, accusé (puis condamné par la suite) d'une escroquerie envers des centaines de petits viticulteurs. L'occupation durera deux jours, avant que 1.200 gendarmes ne prennent d'assaut la cave. Après de violents affrontements, deux gendarmes tués et un nationaliste amputé, Edmond Simeoni est arrêté puis condamné à cinq ans de prison, dont trois ferme.
Davant'à la terra interaPer dà pettu à li scrucconiEra un porta banderaDi nome Edmond Simeoni. pic.twitter.com/m5P0iwSOYX— Senza Identità (@sidentita) 12 Mars 2014
Un passé houleux que n'hésite pas à brandir le camp Zuccarelli aujourd'hui. Francis Riolacci, 3e de la liste PRG, a ainsi récemment dénoncé le "Simeonisme", une "idéologie dangereuse fondée sur la complaisance avec le terrorisme" et prenant "sa source dans l'Italie Mussolinienne".
Si Gilles Simeoni a vertement condamné ces propos, il ne semble pas moins avoir "un problème avec l’ombre de son père", soufflait l'un de ses proches au JDD, en 2010. "Bien sûr, ce n’est pas neutre de porter ce nom", avait alors concédé l'interessé. Et de poursuivre : "mon père m’a transmis l’exemple d’un engagement total. Je ne peux qu’en être fier. Mais d’un point de vue psychologique, je n’étais ni dans la fascination ni dans l’opposition."