Que fait un eurodéputé de ses journées ?

Jean-Paul Gauzès, lors d'une session plénière au Parlement européen
Jean-Paul Gauzès, lors d'une session plénière au Parlement européen © Parlement européen
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VIS MA VIE - Que se passe-t-il dans la journée d’un eurodéputé ? Europe 1 vous emmène dans les coulisses du Parlement européen.

Bruxelles et Strasbourg, la Commission et le Parlement … Sont-ils réellement les géants technocratiques fustigés à longueur de débats ? Au sein de cette immense machine destinée à rassembler 28 pays, 28 cultures et 28 économies du continent européen, des hommes et des femmes travaillent, s’installent devant leurs bureaux et arpentent des kilomètres de couloirs. Europe 1 vous propose de passer 24 heures avec un eurodéputé au Parlement européen, à Strasbourg.

Gauzès

© Pauline Hofmann

LE PORTRAIT. Vous n’avez sûrement jamais entendu parler de Jean-Paul Gauzès, un “député de troisième zone”, plaisante-t-il avec une fausse modestie. Pourtant, il "fait partie de ceux qui comptent" à Strasbourg, comme il le dit lui-même. A 67 ans, l’eurodéputé, ancien maire d’une petite commune de Haute-Normandie, se représente pour un troisième mandat sur une liste de l’UMP.

Gauzès CI

© Pauline Hofmann / Europe 1

Discret, l’air fatigué, l’homme politique, ancien avocat, s’anime dès qu’il parle et travaille. Il a pourtant beaucoup hésité à se représenter. Mais au sein du Parlement, certains - d’autres députés et des lobbyistes -  l’ont un peu poussé. Sa victoire est quasiment acquise, alors il va continuer à siéger dans un des groupes de travail les plus importants du Parlement européen : la commission des affaires économiques et monétaires. Lors de son dernier mandat, avec la crise financière, la crise de la zone euro, cette commission a fait voter tout une série de mesures qui ont considérablement modifié les gouvernances économique et financière européennes : l’union bancaire, la réforme du pack de stabilité et de croissance, pour n’en citer que quelques-unes. Derrière ces mesures, une cinquantaine d’eurodéputés de toutes nationalités, dont Jean-Paul Gauzès.

Gauzès agenda

© Pauline Hofmann / Europe 1

Participer à des conférences publiques, accueillir des visiteurs à Bruxelles, il le fait avec plaisir, sans rechercher la notoriété. D’ailleurs, les caméras ne lui courent pas après. Jean-Paul Gauzès, maire d’une petite commune pendant trente ans comme il se plaît à le répéter à qui l’écoute, voue un attachement particulier à ne pas être “une tomate hors sol”, comme il dit. “Elles sont généralement jolies, les tomates hors sol, mais n’ont pas beaucoup de goût”, dit-il en riant. “Le plus souvent possible, il faut être ramené à la réalité, pour pouvoir parler en connaissance de cause de nos concitoyens, de ce qu’ils attendent”, explique-t-il, avant un rendez-vous avec un directeur d’une grande banque européenne. “Pas très apparatchik, moyennement idéaliste, plutôt technocrate, je travaille sur des sujets techniques. Si j’aimais rêver, je serais socialiste”, se définit-il.

 

Suivez la journée de Jean-Paul Gauzès, en 2 minutes :

Européennes : 24 heures avec Jean-Paul Gauzès...par Europe1fr

10:30 Rendez-vous avec des lobbyistes - “Ils ne mordent pas”

Ces rencontres suscitent tous les fantasmes. Que peuvent bien se dire les lobbyistes et les eurodéputés lorsqu’ils sont en rendez-vous ? Jean-Paul Gauzès joue la transparence à fond et nous permet d’assister à une rencontre : “Si vous voulez tout savoir, ils ne nous donnent pas de chèque, pas d’avantages”, balaye le député.

Au menu des discussions avec les représentants de deux grandes banques européennes, dans le petit bureau de Jean-Paul Gauzès, il ne sera pas question de textes en particulier. Et pour cause. En cette fin de mandature, le travail législatif arrive à son terme. La préoccupation des lobbyistes est plutôt de savoir qui sera à quel poste, mais aussi de s’assurer que Jean-Paul Gauzès, qui en tutoie certains, continuera à s’occuper des questions économiques et monétaires après sa probable réélection.

La position de l’eurodéputé est très claire, sur les lobbyistes : ils ont toute leur place au Parlement, selon lui. “Quand on veut faire la loi, il vaut mieux savoir de quoi on parle. Pour cela, il est bon d’entendre les divers sons de cloches, si j’ose dire, des gens qui sont concernés”, se justifie Jean-Paul Gauzès. Pourtant, la représentativité n’est pas forcément respectée, expliquait Le Monde. 53 % des 1.700 lobbyistes à Bruxelles viennent du monde de la finance.

Pour Jean-Paul Gauzès, “le bon lobbyiste va arriver à mettre en valeur des éléments qui toucheront aussi à l’intérêt général”, comme des effets négatifs sur l’emploi de tel texte européen. Il garde son esprit critique par rapport aux arguments de lobbyistes, assure-t-il, et ne se laisse pas influencer aisément. Des lobbyistes, qui (avec quelques députés proches de lui) l’ont convaincu de se présenter une dernière fois aux élections. “On m’a un peu poussé, des gens qui trouvaient que je travaillais bien avaient envie que je reste. Je ne me suis pas fait prier”, dit-il avec le sourire.

12 :00 Votes dans l’hémicycle - “C’est un peu fastidieux”

Ce devrait être l’instant de félicité du travail de député. Le moment où, enfin, l’on sait si un texte sur lequel on a travaillé va être adopté, ou non. Et pourtant, pour Jean-Paul Gauzès, voter dans l’hémicycle, “c’est un peu fastidieux”.

Pendant la journée que nous avons passée avec lui, l’eurodéputé a enchaîné deux séances de vote dans l’hémicycle. Deux séances d’une heure et demi, passées à appuyer sur un bouton ou à lever le bras pour donner son approbation à tel amendement de tel texte. “On développe un ‘parlement elbow’, comme les tennismen”, s’amuse Jean-Paul Gauzès.

Les séances de vote du Parlement européen sont un spectacle en tant que tel. Une pièce de théâtre répétitive, mais une pièce de théâtre tout de même, avec ses 766 personnages, ses premiers, ses seconds rôles et ses figurants. En France, à l’Assemblée nationale, les députés débattent d’un texte et le vote dans la foulée. Généralement, les élus présents dans l’hémicycle savent plus ou moins pour quoi ils se prononcent.

Au Parlement européen, la logique est très différente. Les eurodéputés se réunissent dans l’hémicycle pour voter toute une série de textes, parfois sans rapport les uns avec les autres. “Si vous me demandez le sens précis de chacun de mes votes de ce matin, je n’en sais rien”, avoue sans problème Jean-Paul Gauzès.

Cela veut-il dire que l’eurodéputé appuie au hasard sur le bouton oui ou non ? Chaque eurodéputé se réfère en fait à une longue liste d’indications, que lui transmet son groupe politique pour chaque séance de vote. Ces “indications de vote” sont décidées lors des réunions des eurodéputés de droite, qui se voient régulièrement et décident ensemble de leur ligne sur chaque texte voté. “J’ai voté comme le PPE souhaitait que nous votions”, dit Jean-Paul Gauzès. “Si nous avons des choses à dire sur un texte, nous faisons évoluer les votes en réunion de groupe”, nuance-t-il.

Et s’il se trompe de ligne ? “Pas de quoi s’inquiéter. Je peux faire changer mon vote sur l’intranet sur Parlement européen, dit-il en riant. “Cela m’est arrivé hier. “

19 :30 Conférence publique sur l’Europe - “Le mépris”

“Le désamour des citoyens pour l’Europe ne nous fait pas plaisir. Nous faisons un travail que nous savons utile mais qui est en partie méconnu et en partie méprisé. Depuis 2004, j’ai reçu 6.600 visiteurs, à qui j’explique le fonctionnement de l’Europe. Je prends ce temps-là, mais avec six millions d’électeurs potentiels, je ne peux pas faire tous les repas du 11-Novembre. Les personnes que je reçois posent énormément de questions et à la fin, cela se termine toujours pareil. Elles me disent toujours : ‘Vraiment, vous communiquez mal, car tout ce que vous venez de nous expliquer est intéressant, nous ne le savions pas’", regrette Jean-Paul Gauzès.

"Dire : ‘Tout ça, ça sert à rien. L’Union européenne, c’est de l’argent pour rien, ce sont des députés pour rien’. Ce n’est pas vrai ! Si on regarde, beaucoup de progrès ont été faits, mais ce sont des progrès souvent insensibles. Il ne faut pas oublier une chose, on a harmonisé les situations en Europe. Si on regarde notre pays, la France, nous sommes parmi les pays les mieux lotis du point de vue du droit des consommateurs, de la protection, … Les progrès, sensibles dans les pays les plus en retard, le sont beaucoup moins au niveau français", le répond l'eurodéputé.

"Je me souviens d’une formule de Talleyrand : ‘Quand je me regarde, je me désole. Quand je me compare, je me console’. En France, on a tendance à se désoler beaucoup et pas assez se comparer. Si on se comparait davantage, on se consolerait de temps en temps”, conclut Jean-Paul Gauzès.