Il ne ressemble en rien à la Fraternité musulmane, le parti musulman arrivé au pouvoir en 2022, dans le livre Soumission, de Michel Houellebecq. Mais l'UDMF, l'Union des démocrates musulmans français, compte bien faire entendre sa voix en mars prochain. Le parti, lancé en 2012, a déposé deux listes pour les départementales, à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, et à Marseille, dans les Bouches-du-Rhône. Au total, il espère pouvoir en déposer sept. Un petit pas qui le conduira peut être un jour "à l'exécutif", confie, amusé, Najib Azergui, son fondateur, contacté par Europe1.
L'UDMF, à l'inverse de la Fraternité musulmane, ne veut pas imposer la charia, la loi dictée par le Coran. Il se veut un parti républicain exemplaire. Mais pourra-t-il un jour fédérer et peser dans la scène politique ? On a essayé d'en savoir un peu plus sur ce nouvel embryon politique.
L'UDMF est "plutôt de droite". Le crédo de Najib Azergui : s'inspirer du Parti chrétien démocrate, de Christine Boutin, ou de l'Union chrétienne démocrate d'Angela Merkel, en Allemagne. Deux partis de droite. Comme l'UDMF ? "C'est tout un débat. Nous avons des valeurs sociales, et en même temps d'autres plus traditionnelles, la famille par exemple. Nous nous situons plutôt à droite. Mais beaucoup de Français ne se retrouvent plus sur cet échiquier et peuvent se retrouver chez nous", décrypte Najib Azergui.
L'UDMF est "musulman" et ne veut pas la charia. S'il se dit souple sur l'échiquier politique, Najib Azergui tient en revanche à la mention "musulman" dans son appellation. "L'islam est souvent stigmatisé, par les politiques, dans les médias. Nous avons vocation à parler de ça. Nous voulons faire entendre la voix de la grande majorité des musulmans français, ceux qui sont intégrés dans la démocratie, le République", explique son fondateur.
La défense des religions est au cœur du combat politique de l'UDMF. Et certaines mesures ne manqueront pas de faire débat, comme le port du voile pour toutes les étudiantes qui le souhaitent par exemple. Mais Najib Azergui promet une déontologie républicaine exemplaire. "L'islam démocrate, c'est une évidence ET une réalité. Nous ne voulons pas imposer la charia. Nous avons des membres - et même une candidate, à Bagneux - qui ne sont pas voilées. Nous ne voulons pas d'un état théocratique. De nombreux musulmans, d'ailleurs, fuient les Etats qui mettent en place la charia", renchérit cet informaticien de 33 ans.
L'UDMF a des propositions pour tous les Français. L'Union des démocrates musulmans français veut fédérer au-delà des musulmans. "Beaucoup de personnes soutiennent cette démarche et nous apportent leur soutien, y compris chez les non musulmans", assure-t-il. Mais pour convaincre tout le monde, le parti mise sur ses propositions "bâties à partir de l'héritage et de l'éthique de l'islam".
Moraliser le capitalisme, promouvoir une finance éthique, élargir les cours de philosophie à l'école, développer le business du halal. "On est sur ces thèmes là dans le débat public. Il faut que nos propositions parlent à tous les Français. Le marché du halal par exemple. Les études montrent que 20% seulement du potentiel français est exploité. Développer ce secteur représenterait une opportunité pour la croissance et l'emploi, pour tous les Français. Qui d'autres que nous pourra proposer ce type de mesures ?", s'interroge Najib Azergui.
L'Union des démocrates musulmans français se dit même prêt à "jouer le jeu des alliances", pour grandir. L'an dernier, lors des municipales à Bobigny, le parti a d'ailleurs présenté un candidat sur la liste UDI de Stéphane de Paoli. Et il a été élu.
L'UDMF a "forcément peur des dérives". Aujourd'hui, le parti revendique 900 cotisants. Et pour s'émanciper, il va falloir éviter les faux pas, les dérapages des adhérents. En ont-ils peur ? "Forcément. Ca nous arrivera, il va falloir faire attention", reconnaît Najib Azergui. Mais il l'assure : ils sont prêts. "Tous les partis connaissent des dérives. Il y en a à l'UMP, au PS ou chez Christine Boutin. Nous formons les personnes, nous avons une charte déontologique. Les adhérents s'engagent en notre nom. S'ils s'écartent, ils sortent du parti".
Najib Azergui, comme ses potentiels détracteurs, ont en tête le précédent du Parti musulman de France (PMF). Créé en 1997 par son précédent Mohamed Latrèche, il avait obtenu 0,92% lors des législatives de 2007, à Strasbourg. Avant de disparaître, "en raison de l'antisémitisme embarrassant de son leader", rappelle Houellebecq dans son roman. Comme le souligne Métro, Latrèche s'est même fait geler ses avoirs par arrêté ministériel, pour "apologie du djihad terroriste".
"J'ai rencontré le PMF. On s'est rendu compte que leurs propositions n'étaient pas envisageables. On a rompu le contact", tanche Najib Azergui aujourd'hui. Qui conclut : "On sera attaqué, par les discriminations mais aussi par les musulmans. Démocratie, laïcité, liberté de la femme etc. Beaucoup de personnes qui viennent d'arriver en France ne comprennent pas ça. Mais nous, on est enraciné en France. On doit respecter la démocratie, sinon on arrive au chaos."
L'UDMF peut-il vraiment convaincre ? Najib Azergui reconnaît que c'est un "terrain qui prendra du temps". Mais "le temps" suffira-t-il ? "Ils ont un créneau extrêmement faible", tranche Pascal Perrineau, politologue spécialiste de sociologie électorale, contacté par Europe1. "Même s'ils le contestent, leur parti se fonde, de fait, sur une référence religieuse. Or, les partis qui se construisent sur des bases communautaires n'ont jamais fait un tabac en France. Regardez l'état dans lequel se trouve le parti de Christine Boutin !", décrypte ce spécialiste.
Selon Pascal Perrineau, en s'adressant aux abstentionnistes, le parti peut espérer "1" ou "2"% d'intentions de vote tout au plus. Bien loin des 41% obtenus par l'Union chrétienne démocrate d'Angela Merkel, lors des législatives allemandes de 2013. "C'est différent. Ce genre de parti peut s'enraciner dans une démocratie chrétienne extrêmement vieille. En Allemagne, la montée de ce courant date de l'entre-deux guerres, lorsqu'il a fallu trouver une réponse au Marxisme. En France, il n'y a pas du tout de dimension confessionnelle dans l'électorat", conclut Pascal Perrineau.