Le président Emmanuel Macron a plaidé mercredi à Toulouse en faveur d'une Europe souveraine dans l'espace, un "bien commun" qui doit faire "rêver", et poussé les dirigeants européens à se positionner sur les vols habités vers la Lune et Mars. Sur un échiquier mondial de plus en plus compétitif, l'Europe doit avoir sa propre "maîtrise" de l'espace si elle veut acquérir une souveraineté technologique, industrielle, militaire et scientifique, a affirmé le président lors d'une réunion "informelle" des ministres européens chargés de l'Espace et de l'ESA (Agence spatiale européenne), dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne.
Un appel à l'Europe de prendre son "destin en main"
L'Europe doit notamment prendre "d'urgence" son "destin en main" dans le domaine des constellations de satellites, si elle veut garder la maîtrise de ses télécommunications, a estimé Emmanuel Macron, quasi-candidat à la présidentielle d'avril. Face aux constellations privées Starlink d'Elon Musk (42.000 satellites prévus) ou Kuiper de Jeff Bezos (3.200 satellites), Oneweb porté par le gouvernement britannique (650 satellites), l'enjeu est de se lancer avant que les orbites et fréquences ne soient trop encombrées.
La constellation européenne, dont les premiers satellites doivent être opérationnels en 2024, doit fournir un réseau internet propre à l'UE et une couverture de communications commerciales à l'échelle de l'UE et l'Afrique. "Nous avons un accord politique" pour déployer une "constellation indépendante", s'est félicité en marge de la réunion le ministre français de l'Economie, Bruno Le Maire, selon qui les aspects de son financement seront réglés ultérieurement.
Investir "la part de rêve" que représente l'espace
Mais l'Europe doit aussi investir dans "la part de rêve" que représente l'espace, au-delà de l'orbite terrestre, a poursuivi le chef de l'Etat. "Pour nous Européens, le modèle spatial viable n'est pas celui de l'exploitation, de l'augmentation du nombre de touristes spatiaux", mais celui d'un "bien commun qui doit être utile à tous", a-t-il fait valoir, opposant sa vision à une "marchandisation de l'espace".
Dans cette optique, l'Europe doit selon lui "anticiper un positionnement pour une première mission internationale humaine vers Mars, probablement à la fin de la prochaine décennie". "L'ESA a déjà identifié des pistes en matière de sciences spatiales et de vols habités, et je propose que nous puissions accompagner cet élan en travaillant (...) d'ici l'été prochain pour formuler des propositions sur nos ambitions européennes en matière d'exploration, de vols habités", a affirmé le président.
Des décisions stratégiques prévues pour novembre
L'objectif est "d'éclairer les décisions stratégiques" qui devront selon lui être prises en novembre, lors d'une réunion ministérielle de l'ESA qui réunira ses 22 Etats membres à Paris. "Quelle doit être la part respective des vols habités et robotisés, notamment pour les vols à destination de la Lune ou de Mars ?", s'est-il interrogé. "Visons-nous des coopérations à la lumière de l'ISS (la station spatiale internationale) ou l'autonomie stratégique en la matière?", a ajouté Emmanuel Macron, se gardant de prendre position.
Face à la ruée vers la Lune et l'apparition d'acteurs privés du vol habité, la communauté spatiale européenne milite afin que l'Europe se dote de moyens propres pour envoyer des astronautes dans l'espace, sans dépendre d'un système de troc utilisé jusqu'ici avec les Russes ou les Américains. "Le moment est venu d'une ambition européenne pour l'espace", a plaidé Josef Aschbacher, le directeur général de l'ESA qui compte 22 Etats membres, mercredi à l'issue du Conseil ministériel de l'ESA réuni lui aussi à Toulouse.
Rester dans "les principaux rangs des nations spatiales"
L'ESA a annoncé la création d'un "groupe consultatif de haut niveau" sur "l'exploration spatiale humaine pour l'Europe", qui devra livrer de premières conclusions à la réunion ministérielle de novembre. Ce groupe réunira des experts non-industriels (historiens, économistes, philosophes...) pour "nous aider à prendre la bonne décision", celle qui "va façonner ce à quoi l'Europe ressemblera dans la décennie à venir", s'est félicité Josef Aschbacher.
Son ambition concernant les vols habités a reçu le soutien de 45 astronautes européens, qui ont appelé mercredi dans un manifeste les dirigeants de l'UE à prendre une décision "de toute urgence" pour "rester dans les principaux rangs des nations spatiales qui façonnent l'avenir de cette planète, ou prendre du retard dans le rôle de partenaire junior pour les décennies à venir". "Ensemble, solidaires de nos valeurs européennes, nous le pouvons. Il est temps de mettre les voiles", a tweeté l'astronaute italien Luca Parmitano.